Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 4.djvu/112

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

doit rentrer en lui au jour de la destruction universelle. Le génie indien s’égara dans la rêverie ; au lieu d’horizons réels, aux contours bien arrêtés, les descendans des Aryens n’eurent devant eux et derrière eux que des perspectives fuyantes, troublées par le mirage. Le brahmanisme, après avoir protégé contre la barbarie, qui la pressait de toutes parts à son arrivée sur ce sol de l’Inde, la jeune et vive nation confiée à ses soins, ne s’occupa plus que de l’établir dans des lois immuables et de se constituer lui-même dans son indépendance et dans son inviolabilité. Les regards tournés vers le passé, il tira de tout ce qu’il savait les élémens de sa propre histoire, — histoire fantastique, pleine de symboles, d’allusions obscures, de faits dénaturés ou présentés sous un faux jour. Le peuple ébloui regarda avec une admiration mêlée de terreur ces figures lumineuses des anciens sages que l’on faisait briller à ses yeux. Peu à peu la caste des brahmanes, qui allait en se multipliant, berça dans les doux rêves de son imagination tous les peuples soumis à la tradition védique ; elle les engourdit dans un sommeil léthargique. La société indienne ne connut point ces élans, ces ardeurs subites, ces réveils soudains, qui font sortir les nations de leurs frontières et les portent à se mêler au moins pour un temps au reste du monde. Les brahmanes façonnèrent à leur image et selon leur convenance ce monde à part qui s’appelle l’Inde et qui occupe la plus belle partie de l’Asie. Pareille aux lianes qui envahissent l’un après l’autre tous les arbres d’une forêt tropicale, la caste des prêtres, qui était aussi celle des penseurs et des poètes, étendit partout ses rameaux, enveloppant à la fois les arbustes chétifs et les plus hauts palmiers, dominant les rois et les gens des basses classes. La forêt parait verte encore, on la dirait pleine de sève ; regardez de plus près : ce feuillage qui la couvre de son réseau, c’est celui de la liane, qui balance au vent du soir ses rameaux sans fruits, mais tout chargés de fleurs aux mille nuances dont le parfum pénétrant donne le vertige.

Théodore Pavie. xxxxxxx