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vertu d’une formule magique, il délivra le prince de la malédiction qui pesait sur lui. « Alors, dit en terminant la légende, le roi illumina de sa splendeur la forêt ; comme le soleil teint de ses rayons les nuages du crépuscule. »

Cette scène d’exorcisme, racontée avec simplicité et avec une foi parfaite, nous rejette en plein moyen âge. Saodâça, roi ensorcelé, prince changé en loup-garou, devenu la terreur du pays par suite d’un gros péché, s’arrête dompté par la voix d’un ermite qui le rappelle à son premier état en l’aspergeant d’eau sainte. C’est par ces côtés à la fois surnaturels et humains, par ce merveilleux où domine toujours l’idée religieuse, que la poésie indienne nous touche de plus près qu’aucune autre. L’Europe a longtemps pris goût à des récits de ce genre, et pour les lui faire oublier, il a fallu qu’une antiquité moins lointaine, plus parfaite dans ses productions littéraires, plus païenne aussi dans ses tendances, lui fût remise sous les yeux. Les poètes grecs ont parlé à des hommes qui avaient au suprême degré le sentiment du beau, à des intelligences d’élite, devenues délicates à force de culture. Les brahmanes, qui dogmatisaient toujours, adressaient leurs enseignemens à un peuple d’enfans condamné à rester en tutelle, avide d’entendre et de connaître, mais facile à séduire par le prestige des images et ne demandant jamais le mot de l’énigme. Les premiers aimaient à peindre la vie sous ses plus brillans aspects, à montrer l’homme luttant contre la destinée pour atteindre à la renommée et à la gloire, pour être appelé grand dans les siècles à venir. Les seconds, accablés par le sentiment des peines de l’existence, dominés par une nature trop forte, trop difficile à dompter, contractaient le dégoût des choses de ce monde : de là l’idée du renoncement, le besoin de se dépouiller par avarice des biens qui doivent nous quitter un jour, sans prendre soin de la postérité. Il y a donc dans les enseignemens du brahmanisme de l’ennui mêlé à de l’irritation, un parti-pris de dédaigner et de mépriser ce qui est grand en apparence, d’abaisser les rois au profit des ascètes et des solitaires ; il y a enfin ce fonds de mélancolie insurmontable que tous les rêveurs trouvent dans leur âme, et qui se trahit dans leurs discours. Et à l’appui de cette assertion, citons en passant des stances curieuses qui prouvent combien la vieillesse, si en honneur chez les Grecs, paraît aux sages de l’Inde peu digne d’envie et pleine de tristesse, même dans l’âge d’or !

« Quand fut terminé le terrible combat des dieux contre les titans, Indra[1] devint le roi suprême des trois mondes. — Le nuage verse partout la pluie, les grains excellens poussent en abondance, les créatures pleines de santé et très attentives à leurs devoirs pratiquent

  1. Indra est ici le Jupiter tonnant, le dieu de l’atmosphère.