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qui avaient tout au plus de quoi vivre et qui vendaient souvent leurs denrées à perte, qu’ils s’engraissaient de la sueur du peuple, qu’ils spéculaient sur la disette, et qu’il fallait enfin rendre compte de leurs bénéfices exagérés. Il n’est pas étonnant qu’un soulèvement général ait répondu à cette intempestive allégation. Ce fameux mot de vie à bon marché » parfaitement à sa place en Angleterre, où tout menaçait de devenir hors de prix, mais infiniment moins applicable en France, n’y provoquait que des espérances chimériques et de justes appréhensions, au lieu d’exprimer, comme chez nos voisins, une vérité et un droit. La baisse des prix, qu’on montrait en perspective, au moyen de gigantesques importations, ne pouvait qu’effrayer ceux qui y auraient trouvé une ruine infaillible, et qui, dans leur épouvante, ne calculaient pas ce qu’il y avait d’impossible et de faux dans ces prédictions. D’autres exagérations contre les douanes en général, qui sont au bout du compte un impôt comme un autre et qui peuvent très bien se justifier par les mêmes raisons que les autres impôts, sans qu’il soit nécessaire d’y mêler la moindre idée de protection, achevèrent de donner prise aux ennemis de la liberté commerciale, et la campagne en sa faveur avorta.

Sans aucun doute, ce fut un malheur. Le gouvernement d’alors était trop éclairé pour ne pas partager la plupart des opinions des économistes, mais la forme des institutions l’obligeait à ménager l’opinion publique, fortement représentée sur ce point par la majorité parlementaire. De même que, sous un pouvoir absolu, il n’y a aucun moyen d’échapper aux conséquences des fautes du pouvoir, de même, dans un pays libre, il n’y a d’autre recours contre les erreurs de l’opinion que l’opinion elle-même. Il ne faut pas d’ailleurs s’exagérer les résultats du système douanier, tel qu’il avait été légué par la restauration au gouvernement de juillet. Ce système, mauvais en soi, n’avait pas d’effets bien sensibles, au moins quant à l’agriculture, et son principal caractère était l’impuissance. Appliqué à un petit état, il eût certainement arrêté son développement ; avec un territoire comme le nôtre, dont l’immensité forme déjà un des plus grands marchés du monde, il gênait le progrès général sans le comprimer absolument, et si elle n’avançait pas tout à fait aussi vite qu’avec un marché plus grand encore, la prospérité publique ne cessait de s’accroître. On pouvait donc attendre, sans beaucoup d’inconvénient, que la lumière se fît.

Sous la république, une nouvelle tentative a eu lieu ; elle a été encore repoussée par l’assemblée nationale ; le moment avait été mal choisi, car tous les prix avaient baissé à l’excès par suite de la crise politique, et une possibilité quelconque d’importation effrayait plus que jamais les producteurs. Les choses ont bien changé depuis ; le