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encore ses éclipses et ses épreuves, elle ne fera que s’affermir. L’acte de navigation sera d’un sûr effet et prépare la puissance maritime et commerciale de l’Angleterre, et lorsqu’on arrive au milieu du siècle dernier, le gouvernement britannique signe la paix de 1763, qui lui donne le Canada, la Floride, le cap Breton, le golfe Saint-Laurent, les rives du Mississipi, Tabago, la Dominique, la rivière du Sénégal. Jusqu’ici, c’est l’histoire des efforts par lesquels une nation arrive à la grandeur, et c’est à cette date de 1763 que s’arrête M. Gouraud. Depuis ce moment, il y aurait à écrire une autre histoire qui ne serait pas moins curieuse, celle des efforts par lesquels un peuple défend la fortune qu’il a conquise et maintient son ascendant. L’Angleterre a maintenu cet ascendant, elle a pu même perdre ses colonies d’Amérique sans être atteinte dans sa puissance ; elle a porté son activité sur d’autres points. Elle a grandi encore par les mêmes moyens, par le déploiement de l’énergie individuelle et par le génie pratique. Pourtant M. Gouraud ne va-t-il point à la dernière extrémité de sa pensée en attribuant à l’Angleterre une prépondérance universelle ? S’il s’agit du commerce et de l’industrie, oui, sans doute ; en est-il de même de l’intelligence ? L’Angleterre a eu toujours des esprits éminens ; mais ils sont surtout anglais. C’est le privilège de la France d’avoir un génie plus universel et ce genre de prépondérance qui s’attache à l’intelligence. On ira chercher en Angleterre des machines, des procédés d’agriculture en même temps que des leçons de liberté politique. S’il s’agit de l’esprit, on se tournera vers la France et vers cette civilisation intellectuelle qui s’étend partout, parce qu’elle est l’image et le résumé de toutes les autres civilisations.

Si les grands événemens extérieurs disparaissent à l’horizon, si dans l’en semble des affaires actuelles il n’en est qu’une qui soit réellement une question de politique générale, celle des démêlés entre l’Angleterre et les États-Unis, — il n’y a pas moins aujourd’hui un certain mouvement qui s’étend à divers pays, et qui se traduit en crises ministérielles, en agitations électorales. Ce mouvement va de Bruxelles à Madrid, de La Haye à Lisbonne. Tout d’abord, la Belgique vient d’avoir ces jours derniers des élections pour le renouvellement de la moitié de la chambre des représentans. Jusqu’à quel point ces élections ont-elles subi l’influence des récens incidens diplomatiques où le nom de la Belgique a été prononcé ? C’est ce qu’il serait difficile de dire. Toujours est-il que le résultat du scrutin dénote un certain travail d’opinion, d’autant plus significatif qu’il a été plus lent, qu’il s’est effectué par degrés. Le parti purement libéral a régné pendant quelques années en Belgique ; il a été au pouvoir, il avait la majorité dans les chambres. Il s’est affaibli par ses divisions, et le mouvement de retraite a commencé. L’administration Rogier-Frère cédait d’abord la place à un cabinet, celui de M. Henri de Brouckère, qui écartait toute question politique et pratiquait une sorte de système de neutralité entre les partis ; c’était un cabinet d’affaires. Le ministère actuel avait déjà une couleur plus tranchée que le ministère de M. de Brouckère, bien que sa politique, ouvertement professée et sincèrement pratiquée, restât encore une politique de conciliation. Ces évolutions, qui ont eu lieu dans les dernières années, correspondaient à un mouvement d’opinion semblable révélé par des élections successives. Aujourd’hui c’est