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les passions chimériques et détache de la réalité. Quant au Piémont, son rôle ne saurait être diminué dans les circonstances nouvelles. Seul parmi les états italiens, il est sorti des épreuves passées avec un ordre politique où tous les progrès sont possibles sans trouble et sans péril. Seul aussi parmi les états de la péninsule, il a pu entrer dans une lutte où sont venues s’éprouver toutes les forces. Ces deux faits caractérisent en quelque sorte ce peuple à la fois libéral et militaire. Sans avoir étendu sa frontière, ce serait une erreur de croire que le Piémont n’ait rien gagné dans la guerre à laquelle il a pris part ; il y a gagné une gloire qui affermit ses institutions, il y a surtout trouvé cet avantage singulier, de pouvoir appeler l’attention de l’Europe sur la situation de la péninsule. Vraisemblablement le Piémont se préoccupait moins des suites pratiques et immédiates de son intervention que du résultat moral. Ce résultat est atteint. Le bruit de ses paroles s’est répandu au-delà des Alpes ; ses hommes d’état sont populaires en Italie. Le Piémont a sans nul doute sa pensée et son but, qu’il poursuit noblement ; mais le meilleur moyen pour lui d’atteindre ce but, c’est de rester un état prudent et sensé, offrant au-delà des Alpes le spectacle d’un développement libéral régulier, s’appliquant à dénouer les questions sans risquer de les trancher, et évitant de passer du camp européen dans un camp où il est souvent plus facile de se laisser entraîner que d’imposer une direction. Le Piémont a dû jusqu’ici sa position en Italie, position qui est toujours allée en grandissant, à des traditions propres, à une politique saine et par momens vigoureuse, à un certain instinct pratique qui l’a heureusement préservé de beaucoup de chimères. C’est en restant lui-même qu’il servira l’Italie, non en cédant à une impulsion qui lui donnerait plus de popularité bruyante que de force réelle, et l’entraînerait dans un mouvement où il ne serait qu’un agitateur de plus.

Un orateur radical disait récemment dans le parlement piémontais qu’au sein du congrès de Paris, outre les plénipotentiaires des sept puissances, il y avait une huitième puissance invisible et planant sur les négociations : c’était la révolution. On ne pourrait pas absolument dire le contraire. Il n’est point impossible effectivement que la révolution n’ait fait cette fois encore les affaires de l’Italie comme elle a l’habitude de les faire, — en les compromettant, en imposant à l’Europe plus de circonspection, et en l’obligeant à montrer assez clairement ce qu’elle voulait et ce qu’elle ne voulait pas.


Ch. DE MAZADE.