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certainement une très grande, une très délicate question de savoir dans quelle mesure des réformes politiques, selon le sens communément attribué à ce mot, sont compatibles avec le caractère spécial et unique d’un pouvoir comme la papauté, en qui résident à la fois une autorité religieuse universelle et une autorité temporelle particulière à un pays. Le pape n’est pas seulement le chef d’un petit état : s’il n’était que cela, il ne serait rien ; il est le chef d’un grand culte, le représentant de la conscience religieuse de tous les peuples catholiques, et c’est à ce titre qu’il traite avec les plus grandes puissances sur un pied d’égalité, comme s’il avait deux cent mille hommes sous les armes, ainsi que le disait le général de l’armée d’Italie après ses immortelles victoires. Supposez à Rome un régime de représentation constitutionnelle, c’est-à-dire un état réglé par le suffrage, suivant les mobilités de l’opinion : les relations des puissances catholiques avec le souverain pontife seront-elles soumises à toutes les fluctuations locales de l’opinion ? dépendront-elles d’une élection romaine qui produira une assemblée, laquelle imposera un premier ministre au prince ? Ce souverain constitutionnel sera-t-il obligé de dénoncer une rupture diplomatique, de déclarer même la guerre à un peuple avec lequel le pontife entretiendra chaque jour des rapports religieux ? Il y a là évidemment des conséquences, des miracles de confusion que les chefs des grandes nations catholiques ne peuvent admettre, parce que la papauté n’est pas seulement un pouvoir romain, elle appartient à tout le monde.

Mais, dit-on, puisqu’il est si difficile de faire vivre ensemble des choses si diverses, de concilier les prérogatives spirituelles du saint-siège et l’exercice de l’autorité politique qui lui est dévolue, pour quoi ne point recourir à un remède radical et simple, à la suppression de la souveraineté temporelle du pape ? Le remède est plus radical que simple, car aussitôt il s’élève une question bien autrement sérieuse : c’est celle de l’indépendance du souverain pontife, qui n’est plus qu’un mot, qu’une chimère. Privée de la position temporelle qu’elle occupe à Rome, où ira cette autorité déshéritée et errante ? La France ne voudra point qu’elle se fixe en Autriche ou dans tout autre pays catholique. L’Autriche ne voudra point qu’elle réside en France, et, à vrai dire, cela ne serait point très désirable. Placée en France, la papauté paraîtrait soumise, ou bien elle se sentirait peut-être obligée, pour attester son indépendance, de ne pas reculer devant des conflits qui n’existent point aujourd’hui. Il est des esprits féconds en expédiens qui ont imaginé aussitôt des combinaisons. Les uns ont placé le saint-siège à Mayorque, d’autres ont proposé Jérusalem. A Mayorque, le souverain pontife serait sous la tutelle