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dans la réforme. Du contact de ces deux hommes, de la fusion de leurs doctrines, sortit le noyau d’une société théologique dont le siège est maintenant établi à Groningue. MM. de Groot, Pareau et Muurling, esprits fort versés dans l’histoire et dans les monumens du christianisme, se partagent les diverses branches de l’enseignement sacré. Leurs idées ne sont ni bien nettes, ni très précisément définies dans leurs ouvrages. Une pensée obscure, qu’obscurcit encore une forme plus ou moins germanique, ne se prête guère aux exigences de l’esprit français : nous voudrions pourtant dégager les points essentiels d’une doctrine qui exerce dans les Pays-Bas, sur le mouvement des esprits, une influence irrécusable. Les théologiens de Groningue se défendent de miner l’édifice de la réforme, mais ils se prononcent contre le protestantisme synodal. Leur point de départ est la négation formelle de toute autorité humaine en matière religieuse. Ils acceptent bien le synode de Dordrecht comme un fait historique ; mais ce fait, suivant eux, ne saurait lier en rien la foi des générations nouvelles. Les théologiens de Groningue accusent leurs adversaires, qui tiennent pour une église officielle, pour une tradition écrite, de vouloir le papisme moins le pape. Quant à eux, ils ne reconnaissent pas plus un pape en chair et en os qu’un pape de papier. Remontant aux origines de la réforme religieuse, ils se déclarent pour la doctrine du libre examen. La source de toute lumière est pour eux dans la lecture de l’Évangile, interprété avec toute la bonne foi, mais aussi avec toute l’indépendance de la raison individuelle. La révélation n’est, à les entendre, que l’éducation du genre humain. Cette éducation du genre humain en Jésus-Christ est un fait qui se continue. L’époque de la réforme a été une des phases glorieuses de cette initiation historique ; mais il faut poursuivre ce que les hommes de la réforme ont commencé. L’école de Groningue donne elle-même l’exemple de cette révision incessante du dogme chrétien, en repoussant le mystère de la Trinité, dont on ne trouve, selon elle, aucune trace dans les saintes Écritures, en niant la prédestination, cette idée fondamentale de Calvin, qui suppose, dit-elle, un Dieu méchant et qui enchaîne la liberté humaine, en écartant même le mystère de la rédemption, au moins telle que l’entend la théologie ordinaire, qu’elle qualifie une théologie de sang. Pour donner à cette doctrine hardie une couleur locale, les théologiens de Groningue ont exhumé des archives religieuses de la province un apôtre de la réforme, un certain Wesselus Gransfortius, dont les opinions concordent avec leurs principes[1]. La prétention de ces nouveaux

  1. De Wesseli Gransfortii cum vitæ tum méritis in præparanda sacrorum emondatione in Belgio septentrionale Traj. ad Rhen., 1831. — De Wesseli Gransfortii germani theologi principiis ac virtutibus etiam nunc probandis et sequendis. Amst., 1840.