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était muni de nombreuses lettres de recommandation ; il fut reçu dans les meilleures maisons de la ville et traité comme un membre de la famille Zeno. Il suivit un cours de langues et de littératures anciennes, un autre de droit public et d’histoire, puis un cours de philosophie, qui se composait d’un mélange hétérogène de logique, de théologie et de mathématiques. Les premiers temps de son séjour dans cette ville savante, qui avait été le refuge de tant d’illustres proscrits et particulièrement de Dante Alighieri[1], s’écoulèrent assez rapidement : le chevalier Sarti était dans l’ivresse de l’indépendance et du bonheur entrevu. L’ardeur de connaître, l’ambition de mériter les faveurs que la fortune semblait lui réserver, et celle de se maintenir dans les hautes régions de la vie sociale où il se trouvait introduit presque miraculeusement, ces divers sentimens avaient un peu surexcité la vanité de Lorenzo et donné l’essor à son imagination romanesque. Il lisait les poètes, les philosophes et les historiens avec avidité, moins pour y chercher des vérités utiles à son inexpérience que pour y trouver des images de la beauté et des exemples de la passion triomphante.

Après quelques mois donnés à l’étude et aux soins de son installation, Lorenzo alla voir sa mère, qui l’attendait avec la plus vive anxiété. Il ne l’avait pas revue depuis son départ de La Rosa, où il retrouva tous ses amis d’enfance, le barbier Giacomo, aussi sentencieux qu’autrefois, et Zina la fermière, entourée d’un groupe de jolis enfans. On se montrait du doigt le chevalier Sarti dans le village comme un exemple à suivre pour s’élever de la plus humble condition parmi les heureux de ce monde. Catarina était dans toute la joie de son âme de revoir son fils grandi, beau, riche, et aussi savant que le fameux curé de Cittadella, à ce que Giacomo assurait. De La Rosâ, Lorenzo se rendit à Cadolce pour visiter l’oncle de Beata, le saint prêtre qui avait béni son enfance, et qu’il retrouva aussi tendre, aussi pieux et aussi indulgent qu’il l’avait connu. Le chevalier alla voir aussi la compagne inséparable de Beata, la fille du médecin de Cadolce, Tognina, qui l’accueillit comme le futur époux de sa meilleure amie, car elle pensait bien que le sénateur Zeno n’avait témoigné tant de sollicitude à Lorenzo que pour le préparer à une plus haute destinée. Il ne voulut pas reprendre le cours de ses études à Padoue sans avoir fait un pèlerinage au village d’Arqua, où reposent les cendres de Pétrarque, l’une de ses plus grandes admirations après le poète catholique et gibelin du XIIIe siècle En quittant l’heureuse vallée, dernier refuge de l’amant de Laure, le chevalier mur murait tout bas ces vers en s’appliquant les paroles du poète :

  1. On a la certitude que Dante était à Padoue dans l’année 1306. Voyez Cesare Balbo, Vita di Dante, p. 246, édition de Florence.