Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 3.djvu/795

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

notre terre depuis un temps plus ou moins long : le mammouth, le mastodonte, dont on exploite encore l’ivoire fossile, le dinothérium, le mégathérium, tous gigantesques. Enfin la conclusion remarquable de M. Flourens est qu’à part l’homme, toutes les espèces actuelles existaient dans le monde primitif. Il faut lire dans son livre cette savante exposition, où la question est nettement posée, les faits interprétés sans ambiguïté, et d’où il résulte enfin que par rapport au nombre des espèces et à leurs variétés les êtres vivans actuels ne sont qu’un reliquat assez pauvre en espèces, s’il est riche en individus[1]. J’omets mille belles pensées et des dissertations fondamentales sur les générations spontanées, les germes préexistans. Il faut tout lire et tout méditer dans l’ouvrage de M. Flourens, et ce n’est pas seulement un livre de compilation et de réflexions sur des faits étrangers à l’auteur : on y trouve le résultat de plusieurs recherches expérimentales qui lui appartiennent sur le croisement des espèces, sur le type propre à chacune, sur l’évolution des parties constituantes des animaux et notamment des os. Dans la troisième partie, les théories géologiques sont clairement exposées, quoique en peu de mots, et la date récente de l’état actuel du globe est mise en évidence.

Ainsi que nous venons de le dire, M. Flourens admet la fixité et l’immutabilité des espèces animales, et le monde organique actuel lui paraît, quant à leur nombre, bien inférieur à la population de la nature primitive. C’est assez humiliant pour notre époque. De plus, les espèces que nous possédons sont plus petites que les espèces antédiluviennes. L’éléphant seul soutient un peu l’honneur du monde actuel, mais il n’occupe plus comme autrefois la terre entière, du pôle à l’équateur. Je ne vois cependant pas, dans les dépouilles fossiles des mammifères, des reptiles et des poissons les plus gigantesques, rien de comparable à nos baleines et à nos cétacés, dont la taille paraît atteindre quelquefois jusqu’à 100 mètres de longueur[2]. Est-il dans tous les monstres antédiluviens, aquatiques ou continentaux, un squelette qui, dressé le long du portail de Notre-Dame de Paris, en dépasserait les tours de la moitié de leur hauteur ? La terre de ce siècle n’est donc pas, sous le rapport de la vitalité dominant une grande masse de matière, en infériorité avec la terre des siècles antérieurs.

  1. M. Isidore Geoffroy Saint-Hilaire donne pour le recensement de la nature vivante d’aujourd’hui deux cent soixante mille êtres distincts, tant animaux que végétaux.
  2. Fait déjà consigné dans la Revue et vivement contesté, quoique extrait textuellement de Lacépède (Hist. nat. des Cétacés). Je n’ai pu obtenir de nos naturalistes, et encore à grand’peine, que des baleines d’une dimension égale à la colonne de la place Vendôme (43 mètres). J’avais beau dire avec Molière : « Eh ! monsieur, un petit mulet ! »