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trembler l’enfer, » et que sa mission était terminée. Les docteurs venaient de fixer le type de la religion nationale. Ils formulèrent leurs décisions en plusieurs articles de foi : quiconque en Hollande adhère pleinement à ces articles est orthodoxe, quiconque s’en écarte ou les repousse est hétérodoxe.

Avec le temps, ce symbole était à peu près tombé dans l’oubli. Si l’unité est un fruit de l’autorité religieuse, la division est une conséquence de la liberté. Cette division s’était très étendue dans les Pays-Bas, en dépit des efforts de l’ancien synode, lorsque vers la fin du dernier siècle un homme se proposa de ramener ses concitoyens à l’ancienne orthodoxie protestante. Cet homme, on ne s’y attendrait pas, était un poète. Bilderdijk, car c’est lui dont nous voulons parler, naquit en 1756. Il se destinait au barreau, et exerça même quelque temps la profession d’avocat dans la ville de La Haye. Profitant des loisirs que lui laissait l’étude des lois, il s’aventura dans la forêt des connaissances humaines : la théologie, la philosophie, la médecine, l’anatomie comparée, l’astronomie, les langues orientales, il parcourut tout, et fort jeune, avec une incroyable ardeur. Le dessin même et la gravure sur cuivre ne lui étaient pas étrangers. Quelques poésies avaient déjà répandu son nom en Hollande, lorsque le pays fut agité par le vent des révolutions politiques qui commençait à souffler l’âme de la France sur le monde. Bilderdijk suivit le dernier stathouder en exil. Il demeura soit en Angleterre, soit en Allemagne, de 1795 à 1806, gagnant sa vie à donner des leçons. Ses amis croient que l’exil et le malheur aigrirent encore son caractère, naturellement irritable. Quoique attaché à la maison d’Orange, Bilderdijk ne se fit point scrupule de retourner dans son pays et de paraître à la cour du roi Louis Bonaparte. Le poète fut comblé de faveurs. Ce règne éphémère disparut, et l’empereur Napoléon refusa de continuer la pension que son frère avait faite à Bilderdijk. Réduit à vivre du produit de ses œuvres dans un pays de trois millions d’habitans, le poète recueillit plus de gloire que d’argent. Ces privations développèrent le germe d’une maladie contractée dans l’exil. Les événemens de 1814 et de 1815 éclatèrent ; la domination française tomba. La restauration de la famille d’Orange était pour Bilderdijk une bonne fortune : il épousa chaleureusement la cause de la résurrection nationale. Appuyant ses griefs personnels sur les griefs de la nation hollandaise, il avait fort mal traité le régime impérial dans des chants qui lui valurent une partie de sa renommée. Bilderdijk n’obtint néanmoins du nouveau gouvernement qu’une pension modique. Une chaire était vacante à l’université de Leyde : il sollicita la place de professeur ; mais l’amertume de ses satires, la rigidité de ses principes religieux, la violence d’un caractère peu sociable firent échouer