Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 3.djvu/70

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la langue latine, à laquelle tous les Hollandais éminens du XVIe et du XVIIe siècle doivent d’avoir répandu leur nom avec leur pensée sur le monde.

En 1849, une commission fut nommée pour examiner dans les Pays-Bas l’état de l’instruction supérieure. Son rapport ne fut pas favorable. La commission constata de graves lacunes dans l’enseignement du droit, de la médecine et des belles-lettres, le dépérissement général des études, l’insuffisance des méthodes, une certaine torpeur dans le corps chargé de distribuer la science à la jeunesse néerlandaise. À cet état de choses déplorable elle proposait divers remèdes, entre lesquels nous n’en citerons qu’un seul, la liberté. Le vœu de la commission était qu’à côté des chaires occupées par les professeurs de l’état, il pût s’élever d’autres chaires rivales. Aujourd’hui cette liberté existe bien en Hollande, mais les aspirans aux grades étant tenus de passer des examens, et ces examens étant présidés par des professeurs officiels, ceux-ci n’accordent naturellement le brevet de capacité qu’aux élèves qui suivent leurs cours. Il faudrait donc renouveler le personnel du conseil. Ce projet de loi n’a point encore été discuté, mais le principe sur lequel il se fonde est trop conforme aux tendances bien connues de la nation pour que le gouvernement n’entre pas dans cette voie. Il s’agit ici pour la Néerlande d’un intérêt suprême : quand les études baissent, les peuples déclinent. L’université de Leyde est en décadence, mais les traditions lui restent. Il suffirait d’une impulsion morale et des bienfaits de la concurrence pour régénérer un enseignement pétrifié qui s’appuie trop sur sa gloire passée. La Hollande est encore la patrie de Leuwenhoek, de Chrétien Huygens, de Ruysch, de Boerhaave, de Valckenaer ; il faut seulement qu’elle suive, par de fortes et consciencieuses études, la trace de tous ces grands hommes, au lieu de montrer leurs portraits.

On ne quitterait point la ville de Leyde sans visiter l’ancienne demeure de Descartes. C’est en effet une des gloires de la Hollande que d’avoir recueilli et de s’être en quelque sorte approprié tous les hommes qui luttaient pour le triomphe de la raison humaine. À La Haye, dans le parc de Guillaume, on trouve une statue élevée au père de la philosophie moderne, avec cette inscription : Cogito, ergo sum. La statue est détestable, mais l’intention est bonne. Un pays a droit de réclamer comme siens les proscrits de l’intelligence auxquels il a fourni le droit de vivre, de penser et de mourir en paix. La maison de Descartes est située à deux lieues de Leyde ; c’est bien un nid de philosophe, caché sous de grands arbres, qui, secoués par le vent, engagent entre eux de graves dialogues. Cette habitation est pleine de souvenirs. Descartes se trouvait bien de son séjour en Hollande : il engageait dans une lettre son ami Balzac à le rejoindre sur cette terre de liberté.