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de leur assigner une ligne de conduite. Julie, amie d’enfance de Camille, est un type facile à rencontrer, mais qui ne méritait pas de figurer dans une comédie, à moins d’être dessiné avec précision, de façon à ne tromper personne. Sous des dehors étourdis, elle cache un cœur sans noblesse. C’est un mélange de sécheresse et de frivolité, une figure dont l’action se passerait très bien. M. Simon et M. Delatour représentent d’une manière assez pâle la haute banque et le parquet de la Bourse. Le premier parle des petits capitaux indisciplinés avec une impertinence qui n’a rien d’amusant ; le second donne à Léon, son camarade de collège, d’excellens conseils, qui demeurent stériles, parce qu’ils arrivent trop tard. S’il voulait sauver le patrimoine de son ami, il devait refuser obstinément de l’assister dans ses premières aventures. Quand il a joué, quand il a gagné pour lui, de quel droit vient-il essayer de l’arrêter sur la pente terrible où il est engagé ? Estelle et Alfred, Pierre et Dubois, disparaîtraient sans que personne s’en aperçût. Une aventurière, qui, pour assurer son bien-être et ne jamais se trouver au dépourvu, prend un amant à la hausse, un amant à la baisse, serait à peine acceptable dans une pièce de boulevard. Un joueur de coulisse qui dissipe en orgies l’or qu’il a gagné sans rien risquer est un peu dépaysé dans une composition qui se propose un but moral et veut demeurer poétique. Dubois, faisant des affaires pour son compte, donnant audience à des cliens de bas étage, tandis que son maître s’entretient dans son cabinet avec des cliens du faubourg Saint-Germain, est une heureuse invention ; mais quand il vient avec Estelle visiter l’appartement de Léon, il n’égaie personne. Pierre, attaché au service de Léon, n’a d’autre souci, ou plutôt d’autre mission, que de copier jour par jour toutes les fautes de son maître. Il est impossible d’imaginer un personnage plus inutile. Madeleine, servante de Camille, imite en tout sa maîtresse, comme Pierre imite Léon.

Avec de tels caractères, il était bien difficile de composer une comédie vivante. Aussi, malgré son talent, M. Ponsard n’a-t-il pas réussi dans cette entreprise. Les personnages ne sont pas assez nettement conçus, assez solidement posés pour agir puissamment sur l’âme du spectateur. Il y a dans leur conduite une indécision dont le théâtre ne saurait s’accommoder. C’est un défaut que les tirades les plus élégantes ne rachètent pas. On reconnaît dès les premières scènes que l’auteur a vécu parmi les personnages qui parlent devant nous, mais il les a plutôt vus que regardés, et pour le poète comique, voir ne suffit pas. Le souvenir des choses aperçues, des propos recueillis au hasard, ne peut défrayer une pièce de longue haleine. Les termes techniques, inintelligibles pour les profanes qui n’ont