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n’offrant pas d’attrait à la spéculation, sont plus difficiles et plus lentes à placer. En 1853, le Crédit mobilier souscrivit dans une forte proportion aux obligations du Crédit foncier ; il prit un emprunt de 30 millions du Grand-Central, et un emprunt de 6 millions de la société de la Vieille-Montagne. Dans le cours de la même année, il put liquider entièrement l’opération des obligations du Crédit foncier et presque entièrement l’emprunt de la Vieille-Montagne ; il lui fut plus difficile d’écouler l’emprunt du Grand-Central, qui, au commencement de 1855, n’était placé qu’en partie. En 1854, il prit part, pour une somme de 5,335,960 fr., à l’emprunt de 62,500,000 fr. émis par la compagnie de l’Est, et il acheta 16,000 obligations à la compagnie du chemin de fer de Dôle à Salins. En 1855, il a garanti le placement de 65,000 actions de l’Ouest, représentant 18 millions, et de 100,000 obligations de la compagnie des chemins du Midi, représentant 28 millions, et il s’est chargé de l’émission de l’emprunt de 82 millions de la société autrichienne, qui est passé rapidement et presque en entier aux mains des capitalistes allemands.

Les affaires que le Crédit mobilier a servies de son concours moral, ou pour le compte desquelles il a rempli le rôle d’intermédiaire sans y engager ses propres fonds, sont : en 1854, la transformation de la compagnie des mines de la Loire, subdivisée en quatre groupes dont il devint le centre financier, et la fusion des diverses entre prises d’omnibus de Paris en une société anonyme ; en 1855 la fusion des sociétés parisiennes d’éclairage par le gaz. Depuis deux ans en outre, le Crédit mobilier prépare la fusion des salines de l’Est et du Midi, retardée jusqu’à présent par la lenteur des enquêtes administratives.

Enfin, pour terminer cet aperçu des opérations de la société générale, il reste à mentionner la part qu’elle a prise au dernier emprunt de 780 millions. Le Crédit mobilier, tant pour son compte que pour celui de ses correspondans, avait déposé une demande de 625 millions dans la souscription de cet emprunt. La part de la société dans l’emprunt fut réduite par la répartition générale à 1,280,920 francs de rentes 3 pour 100[1].

  1. Il est une opération que nous avons passée sous silence, c’est l’affaire de céréales que le Crédit mobilier a faite l’année dernière. Il serait très difficile d’en parler, car le dernier rapport ne donne aucune explication à ce sujet. Cette opération n’est mentionnée que dans l’extrait du compte de profits, et pertes où elle figure au débit dans l’article ainsi conçu : « perte présumée sur l’affaire des céréales, 500,000 fr. » La perte n’étant que présumée, l’opération n’est point terminée : les sommes qui y sont consacrées auraient dû, ce semble, être portées dans la situation générale. Le Crédit mobilier aura sans doute entrepris cette affaire en participation avec quelque maison de commerce ou quel que compagnie. En faisant cette opération, le Crédit mobilier est évidemment sorti de la loi de ses statuts, qui énumère les opérations qui lui sont permises relativement à la commandite, au commerce des valeurs et à l’émission des obligations, et lui interdit toutes autres opérations, par conséquent toute opération en marchandises.
    L’intention qui a motivé cette infraction aux statuts est irréprochable sans doute, puisqu’il s’agissait de servir un des intérêts les plus pressans du pays, l’approvisionnement. Il est cependant impossible de laisser passer sans observation une infraction de cette importance. Il faut espérer qu’un pareil précédent ne fera pas loi dans l’avenir pour le Crédit mobilier. L’intervention de cette société dans le commerce de marchandises aurait des conséquences dangereuses et toutes contraires aux intentions qui ont pu l’inspirer dans cette circonstance. Nous recevons à ce sujet, d’une de nos grandes villes de commerce, une lettre dont les conclusions nous paraissent irréfutables. « Quand un véritable négociant, nous écrit-on, va sur les marchés du dehors acheter des céréales, il y met toute la circonspection que son intérêt exige. Il s’applique à ne pas influencer les cours ou le moins possible. En même temps il a l’œil ouvert sur les variations de prix qui surviennent sur le point où il veut expédier les achats qu’il a réalisés ; enfin il s’attache à obtenir de son opération un prix, rémunérateur de ses soins et des risques qu’il a courus. Vieille méthode ! le Crédit mobilier n’y met pas tant de façons ; il opère à grand bruit, achète à tout prix, et fait sans sourciller une perte qui ira peut-être à un million de francs ! Mais qu’arriverait-il si l’on devait s’attendre à une intervention analogue du Crédit mobilier en pareille circonstance ? Le négociant, qui n’a pas les bénéfices, de la Bourse pour s’indemniser des perles qu’il essuierait en agissant de la sorte, fuirait les marchés sur lesquels se présenterait le Crédit mobilier, n’oserait pas affronter un concurrent qui peut encourir une perte si considérable, tout en donnant à ses actionnaires un dividende de plus de 40 pour 100, et le Crédit mobilier en fin de compte porterait un préjudice évident à l’approvisionnement de la France. »