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jouent sur l’effet que pourra produire un événement politique, ou une circonstance encore ignorée, laquelle, une fois connue, devra modifier le prix des actions de telle ou telle compagnie.

De ces trois classes de spéculateurs, la première, celle des gens qui spéculent dans les conditions de leurs ressources réelles, s’est considérablement accrue dans ces dernières années. Ils forment, entre les valeurs classées et les capitaux qui cherchent des placemens, une sorte de corps mobile qui va sans cesse, éparpillé en fourrageurs, d’un côté à l’autre. La tactique de ces spéculateurs est d’acheter des valeurs lorsque les prix sont bas, de les lever, comme on dit à la Bourse, de les garder jusqu’à ce que les prix remontent, de les revendre alors, en réalisant un bénéfice, pour recommencer la même manœuvre au retour de la baisse. Comme cette spéculation est toujours basée sur des ressources réelles en titres ou en argent, elle agit dans des données relativement restreintes, et ses effets vont se confondre avec ceux que produisent sur le marché les opérations déterminées par les besoins naturels de vente et d’achat dont nous parlions tout à l’heure.

Il n’en est point ainsi des spéculateurs de profession et de la spéculation proprement dite. Celle-ci ne fait pas entrer dans ses prévisions la levée ou la livraison réelle des titres sur lesquels elle agit ; elle ne mesure pas l’importance de ses achats ou de ses ventes aux sommes d’argent ou aux quantités de titres que ses opérations exigeraient, si elles devaient se liquider réellement par des paiemens ou des livraisons ; elle les proportionne à la différence dont elle pour suit le bénéfice et dont elle consent, à encourir la perte, et ses opérations portent nominalement sur de grandes sommes de valeurs. L’affaire de la spéculation est de pressentir les mouvemens de hausse ou de baisse qui pourront se produire dans les prix d’une liquidation à l’autre. Elle n’opère jamais au comptant : c’est elle qui vend à découvert, qui achète à terme, qui emploie, pour limiter ses risques, l’expédient des marchés à prime. Comme elle agit sur de grandes masses nominales de valeurs, et comme elle a la prétention de prévoir et de devancer, pour en recueillir à son profit les différences, les variations qui dans un temps donné affecteront les cours des valeurs, elle exerce une grande influence sur les prix. Si elle touche juste, si le besoin d’acheter des titres ou le besoin d’en vendre dominent à la liquidation, comme elle l’avait prévu, elle gagne, et les prix prennent les cours de hausse ou de baisse dont elle a donné le signal. Si elle se trompe au contraire, son impulsion agit en sens inverse de l’effet qu’elle avait voulu produire, car elle est obligée, pour se liquider, soit de racheter les valeurs qu’elle avait vendues dans la prévision de la baisse, et par la elle surexcite la