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est elle-même un livre, grâce au lucide commentaire dont elle est précédée.

Nous voici ramenés au livre véritable, à l’œuvre de l’historien. Les matériaux ne sont pas tout : si neufs, si abondans qu’ils soient, ils ne font pas l’édifice : le plan, la construction, les proportions, le style, voilà l’œuvre elle-même, celle qui doit nous occuper.

Il faut nous garder pourtant d’insister sur des points d’une de monstration trop facile ; il est des vérités qu’il vaut mieux sous-entendre. Apprendre à nos lecteurs que dans ces deux volumes, dans une œuvre de M. Guizot, ils trouveront un art profond et magistral, les grandes qualités du style, clarté, simplicité, concision sans raideur, réflexions courtes et rares, jamais sonores et toujours à leur place, point de luxe, point de parure, de grands traits, une mâle élégance, le vrai langage de l’histoire, en un mot leur dire ces nouveautés leur faire part de ces découvertes, est-ce bien nécessaire ? Ont-ils besoin qu’on leur enseigne ce qu’ils savent aussi bien que nous ? N’ont-ils pas sous les yeux ces quatre premiers volumes qui leur répondent du dernier ? Il est vrai que, pour dire toute notre pensée, pour être tout à fait sincère, il nous faudrait aller plus loin et signaler un nouvel exemple de ce progrès persévérant et continu dont si peu d’hommes gardent ainsi le privilège. C’est un soin dont le livre lui-même s’acquittera mieux que nous. Qu’on nous permette seulement, pour ne pas déserter notre tâche, d’indiquer en quelques mots avec quel merveilleux bonheur les difficultés du sujet sont vaincues dans ce récit.

Deux points surtout semblaient presque insolubles : coordonner et mettre en scène dans un ordre intelligible cette cohue de faits et de personnages, tous à peu près de même taille, figurant tous au même plan, se distinguant à peine les uns des autres ; puis, en second lieu, faire un drame de cette confusion, rendre, sinon visible, du moins toujours présente, d’un bout à l’autre du récit, cette unité d’intérêt sans laquelle il n’est point d’œuvre d’art.

Quant au premier problème, la difficulté d’obtenir un peu d’ordre et de clarté, on ne s’en fait une juste idée qu’après avoir lu les dépêches de M. de Bordeaux. Là, les faits se laissent voir en négligé pour ainsi dire, à l’état de nature, à mesure qu’ils se produisent. Le pêle-mêle est complet : c’est un chaos. Au bout de quelques pages, vous avez perdu toute chance de retrouver votre chemin, comme un enfant au milieu de la foule. Le spectacle est vivant, il attache, il divertit vos yeux, votre esprit renonce à le comprendre ; point de jalons pour vous guider. Les événemens les plus saillans se renouvellent jusqu’à deux et trois fois, comme pour vous donner le change.