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et nous fera pénétrer dans l’intimité des mœurs de la presse amé ricaine. Il y a vingt-cinq ans, les journaux américains étaient d’un prix aussi élevé que ceux de notre continent : un numéro ne coûtait pas moins de 30 centimes. À ce prix, la vente était naturellement très restreinte. Pas de débit aux gares de chemin de fer ou au départ des bateaux à vapeur, sauf quelques numéros isolés vendus à tel membre du congrès en route pour Washington, ou à tel riche négociant désireux de se tenir au courant des prix du marché. La vente irrégulière sur la voie publique, la vente au numéro, qui a fait la fortune récente de tant de membres de la presse, n’existait pas. Les journaux vivaient principalement des abonnemens réguliers et envoyés à domicile. Mauvaise affaire : le prix de l’abonnement n’était jamais payé d’avance, l’Américain comme l’Anglais ayant une invincible répugnance à payer une chose qu’il n’a pas reçue, que ses yeux ne voient pas en substance, et qu’il ne peut toucher de ses doigts. Une autre répugnance de l’abonné américain, et celle-là lui est toute particulière, c’est de se séparer de sa monnaie et de payer le prix de son abonnement. Vainement le lui réclamait-on et quelquefois dans les termes les plus pathétiques ; il ne s’exécutait qu’à la dernière extrémité, et souvent préférait ne plus recevoir son journal. Vers l’année 1833, tout changea de face, et les journalistes trouvèrent un moyen de se débarrasser de la tyrannie de leurs abonnés. Un jeune étudiant en médecine, M. Horatio Davis Sheppard (conservons le nom de ce bienfaiteur de l’espèce humaine, comme l’appellent les récens historiens de la presse américaine), conçut l’idée de la presse à bon marché. Il avait été frappé, paraît-il, de la rapidité avec laquelle les brocanteurs et traficans des rues vendaient leurs marchandises à bas prix. Comme il était en train de méditer sur le meilleur moyen de faire fortune, et que dans de telles dispositions d’esprit on rapporte à ses méditations tous les faits qu’on observe, quelque éloignés qu’ils soient du but qu’on recherche, il se dit que l’application à la presse du principe du bon marché le conduirait au résultat désiré. Il avait une trop petite fortune pour suffire à une entreprise dont les commencemens devaient être dispendieux ; il alla proposer son plan d’imprimerie en imprimerie, partout il fut refusé. Enfin il trouva un appui dans MM. Francis Story et Horace Greeley, tous deux employés alors à l’imprimerie et à la rédaction d’un journal nommé l’Esprit de l’Époque. Le journal qu’ils fondèrent ensemble, et qui se nommait le Morning Post, débuta mal et sous une mauvaise étoile. Il fit son apparition le 1er janvier 1833, au milieu d’une tempête de neige qui dura près de huit jours. Les habitans de New-York restaient chez eux, et les rares passans n’avaient aucune envie de s’arrêter pour acheter un nouveau journal. Cet accident