Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 3.djvu/548

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à la nursery. L’un d’eux, bambin joufflu, sauta dans les bras de la jolie governess, et se suspendit à son cou. Au moment où elle passait devant Hugh, il leva les yeux sur elle ; mais elle tenait les siens baissés, et aucun regard ne fut échangé. Dans la soirée, toutes les fois que la porte s’ouvrait, Hugh y jetait un coup d’œil ; mais Laura ne reparut pas, et je crois fort que mon frère s’en alla désappointé.

Il ne fît aucune allusion à cette rencontre. Seulement je le trouvais plus rêveur que d’habitude. Quelques jours après, en allant avec les deux enfans et lui à un petit étang sur lequel mon fils apprenait à patiner, nous rencontrâmes, au détour d’un sentier, miss Rivers et les enfans de mistress d’Arcy. Nos marmots se mêlèrent aussitôt, sans se douter qu’ils nous gênaient fort, et comme, sans nous être donné le mot, nous allions au même endroit, il fallut bien marcher de conserve. Hugh et Laura s’étaient salués selon toutes les règles de la plus stricte politesse ; mais le soin de soutenir la conversation me fut laissé tout entier. Mon frère n’ouvrit pas la bouche, et miss Rivers se hâta, dès qu’elle put le faire sans affectation, d’emmener ses élèves. Je lui sus gré de son fier silence et de sa tranquille froideur. Ce n’était certes pas à elle de faire les premiers pas ; mais d’un autre côté Hugh s’y déciderait-il ? Je le désirais vivement, car il m’était démontré que mon pauvre frère, dans son ambition satisfaite, ne trouverait jamais de quoi combler le vide de son cœur. Il commençait à le comprendre, et accueillait d’un air passablement sardonique les complimens qu’on lui faisait sur l’espèce de « restauration » qui ramenait les Randal dans le Wensleydale. Tante Thomasine paraissait penser comme moi ; seulement elle avait jeté son dévolu matrimonial sur une certaine miss Blounte, qu’elle déclarait être « une femme faite tout exprès pour Hugh. » En effet, n’avait-elle pas, justement contigu aux terres de Thorney, un domaine admirable et admirablement gouverné ? Cette suggestion me trouva très rebelle, et nous engageâmes une discussion en règle, mon mari, ma tante et moi, tandis que Hugh se promenait, sans nous écouter, de long en large.

— Eh mais ! dit-il tout à coup, de quoi donc est-il question ? Vous me nommez à chaque minute.

— Nous vous marions, repartit Harley.

— Ah ! ce n’est que cela ? reprit Hugh. Et il se promena de plus belle.

Le lendemain et les jours suivans, mon frère fit de fréquens voyages à Wood-End (ainsi se nommait le domaine du colonel d’Arcy), pour y traiter de je ne sais quel échange de bois. Jamais je ne l’avais vu aussi jaloux de sa solitude, aussi importuné par tout empiétement sur ses longues réflexions. Enfin, au retour d’une de ces excursions,