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Bientôt il aperçut de petits corps d’un beau vert qui s’étaient fixés sur les parois transparentes du bocal, et qui, tantôt immobiles, tantôt se déplaçant lentement, changeaient de forme et de proportion. Complètement déployés, ces corps ressemblaient à des cylindres creux de cinq à six lignes de long, dont l’extrémité libre, percée d’un orifice central, portait un nombre variable de cornes ou de bras allongés, mobiles en tous sens et rétractiles. Venait-on à les heurter un peu rudement, ces cornes se raccourcissaient, semblaient disparaître, et le cylindre lui-même devenait une sorte de cône ayant à peine une ligne de hauteur. Longtemps Trembley ne sut que faire de ces singuliers corps. Était-ce un animal ? était-ce seulement une plante douée de propriétés analogues à celles de la sensitive ? La couleur, la forme, étaient d’un végétal ; mais d’un autre côté ces corps se déplaçaient tantôt en rampant avec une extrême lenteur, tantôt en exécutant des espèces de culbute à la façon des saltimbanques. Pour résoudre ce problème, le naturaliste coupa en deux un de ces êtres énigmatiques. Quarante-huit heures après, chaque moitié avait reproduit ce qui lui manquait et présentait un tout complet. La division en vingt, trente, cinquante fragmens, produisit de même en quelques jours vingt, trente, cinquante individus. En même temps Trembley découvrait sur ces cylindres animés de petites élévations qui, grandissant, s’allongeant de jour en jour, poussant ensuite des cornes par leur extrémité libre, finissaient par se détacher et ressemblaient entièrement au corps qui leur avait, donné naissance.

Trembley trouvait donc ici deux grands phénomènes, jusque-là regardés comme appartenant exclusivement aux végétaux, la reproduction par boutures et la multiplication par bourgeons ; mais en même temps il voyait ces prétendues plantes se nourrir à la façon des animaux chasseurs, saisir au passage avec leurs bras des insectes aquatiques parfois presque aussi gros qu’elles-mêmes, les avaler tout en tiers, les digérer, et rejeter par l’ouverture qui avait servi de bouche les débris inutiles à la nutrition. Ces derniers faits parurent à notre observateur écarter toute incertitude. Les êtres qu’il étudiait depuis si longtemps furent définitivement pour lui des animaux. Réaumur, consulté sur cette conclusion, l’adopta dès qu’il eut vu quelques-unes de ces étranges bêtes, et leur donna le nom de polypes, appliqué de puis à toute une classe. Aidé par Bernard de Jussieu, il trouva aux environs de Paris une espèce très voisine de celle de Hollande, et d’autres animaux qu’il crut, mais à tort, pouvoir en rapprocher[1].

  1. Les polypes à panache de Réaumur et de ses contemporains n’ont avec les vrais polypes qu’une faible ressemblance extérieure. Ces derniers appartiennent à l’embranchement des rayonnes ; les premiers ont été avec raison rapportés à celui des mollusques.