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où, réunies à celles de la France, les armes suédoises feront rendre un compte sanglant à la Russie… » Qui parlait ainsi en 1809 ? Le comte de Wetterstedt, ministre des affaires étrangères de Suède en 1831 ! Vainement poursuivit-on la brochure qui avait révélé de tels contrastes ; l’effet en avait été considérable, et l’opinion publique s’était clairement manifestée. C’est encore pendant la même année 1831 qu’un singulier épisode concourut au même résultat. Un quatrième fils étant né au prince Oscar, on choisit à l’enfant l’empereur de Russie et la duchesse Helena Paulowna pour parrain et marraine ; mais ce choix excita tant de mécontentement dans la population suédoise, qu’on eut à craindre des manifestations publiques, des insultes à la légation russe lors du baptême, et qu’aujourd’hui, bien que le premier inscrit des prénoms du prince soit celui de Nicolas, celui d’Auguste a prévalu[1]. Du reste il y avait eu déjà précédemment une curieuse aventure qui avait dû inspirer à Bernadotte quelque éloignement pour les galanteries de son redoutable voisin. Bernadotte ayant un jour, par pure politesse, demandé à l’empereur de Russie quelques détails sur l’équipement et les uniformes des armées russes, afin de se mettre à même d’imiter de si belles choses, on vit à quelque temps de là entrer dans le port de Stockholm, à la grande surprise de la population, un brick de guerre sous pavillon russe portant un détachement de soldats russes de toutes les tailles, de toutes les espèces et de toutes les couleurs, lesquels débarquèrent avec tambours et trompettes, armés de pied en cap, traversèrent la ville pour être passés en revue dans le parc de Haga par Bernadotte, puis déposèrent au ministère de la guerre leurs costumes tout neufs, qu’on échangea contre d’autres habits, et se rembarquèrent après avoir reçu du grand-gouverneur de la ville, avec des remerciemens pour leur visite, ce singulier compliment, que les rapports de police ne constataient pas un seul vol, pas un seul acte de pillage, pas un seul excès commis par eux. La population de Stockholm avait cru véritablement à une invasion russe ; cette galanterie de bon voisinage lui avait plu médiocrement, elle avait murmuré, et l’on se garda bien d’exhumer quoi que ce fût des malencontreuses défroques.

Pour être juste, n’omettons pas de dire que Bernadotte apercevait bien lui-même, outre les embarras extérieurs que lui créait sa dépendance, le danger vers lequel la Russie l’entraînait, celui d’une scission avec son peuple. Ajoutons que les nombreux témoignages des correspondances diplomatiques prouvent combien il souffrait de

  1. On dit même que l’Almanach de Gotha, pendant quelques années, donna le dernier prénom avant l’autre.