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et une délivrance, puisque le principe du droit divin s’effaçait dès lors devant celui de l’élection nationale. Aussi, bien qu’il eût attendu, pour reconnaître le roi des Français, l’exemple ou l’ordre du cabinet de Saint-Pétersbourg, il fit bon accueil au marquis de Dalmatie, qui lui fut envoyé dès le commencement de 1831 comme ministre plénipotentiaire, et que des liens de parenté rapprochaient de la famille royale de Suède. La correspondance diplomatique laisse facilement percer l’affranchissement et l’essor de son esprit ; on le voit revenir sur son passé, en parler plus librement, comme un homme qui n’a plus trop à craindre, et exalter d’abord son présent, comme un homme qui croit avoir réussi et qui s’en félicite. « Oui, monsieur, dit-il à notre chargé d’affaires peu de temps après la révolution, la France a eu toutes mes sympathies dans la lutte qu’elle vient de soutenir pour sa liberté. Si Charles X en était réduit à chercher ailleurs que dans sa conscience les avantages de la foi gardée, que ne tournait-il ses regards vers le pays que je gouverne ? Sa tranquillité depuis seize ans ne repose que sur la fidélité que j’ai gardée à mes sermens… Je ne suis d’ailleurs, j’en conviens, qu’un républicain sur le trône, qu’un faiseur d’opposition qui a fait fortune ; mais cet esprit d’opposition, je m’en fais gloire, parce que je l’ai montré partout : soldat, dans les rangs de l’armée ; prince royal de Suède, dans le conseil des rois. En avril 1814, les salons du prince de Bénévent m’ont retrouvé avec les mêmes sentimens d’indépendance que j’avais jadis à l’armée de Sambre-et-Meuse. En 1810, quand Napoléon songea à épouser l’archiduchesse d’Autriche, ce projet froissa tous mes sentimens, et je dis à Murat, qui le lui répéta : Ce n’est pas sous la pourpre des césars que l’empereur doit chercher une épouse, mais bien plutôt parmi ces vierges modestes de Saint-Cyr. Quand il a demandé de la gloire à la France, elle lui a fourni des soldats ; en bien ! puisqu’il doit fonder une dynastie, qu’il lui demande aujourd’hui une épouse. A-t-il réfléchi de quel œil pourra nous voir aux Tuileries une archiduchesse d’Autriche, nous, soldats de fortune et fils de la révolution ? Voilà, monsieur, pour mon esprit d’opposition dans les rangs de l’armée. Vous saurez aussi mon langage dans le conseil des rois comme prince royal de Suède. J’arrive à Paris en 1814, tout couvert de lauriers qui devaient coûter à mon cœur,… j’avais fait triompher la cause des rois… Pourquoi aussi Napoléon ne consentait-il pas à me laisser vivre en paix au bout du monde, au milieu de mes rochers et de mes frimas ? Sa part n’était-elle pas assez belle ? Pourquoi me forcer à le vaincre ?… Je vous disais donc, monsieur, que j’arrive à Paris après avoir remporté des victoires qui coûtaient à mon cœur. Dans la balance de la justice, qui paraissait enfin pencher du côté des rois, j’avais placé l’épée de Brennus ; mais voilà que, pour ma