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sont sa propriété légitime et son royaume, comme lui appartiennent tous les vices, toutes les passions et les ridicules des hommes. Le développement de ces mœurs est certes un des faits les plus saillans de la vie contemporaine. L’esprit de travail a fait place à l’esprit de spéculation, enflammé par l’espoir d’un gain rapide. Avant tout, il s’agit de découvrir une combinaison miraculeuse, une idée qui parle à l’imagination publique. Industrie, commerce, mines, navigation, crédit, que reste-t-il à organiser, à mettre en actions ? Il y a une entreprise sérieuse, mille sont la chimère des inventeurs de recettes merveilleuses. Et où tout cela va-t-il aboutir ? Au lieu unique et consacré, au temple de la fortune et de la spéculation, à la Bourse. Là s’allument les fièvres du jeu et de la richesse ; là les effroyables catastrophes côtoient les prospérités subites. Le progrès du reste est visible en tout. Autrefois il n’y avait que les gens de finance qui fréquentaient la Bourse. Aujourd’hui il y a des ouvriers et des domestiques qui jouent, il y a même des femmes. La cote des chemins de fer et des actions d’industrie est la lecture souverainement instructive de bien des gens chaque jour. C’est donc une pensée heureuse au fond qu’a eue M. Ponsard de faire de cette fièvre dangereuse et ridicule le thème de sa comédie nouvelle, — la Bourse ; mais il fallait une singulière puissance ou une rare faculté d’ironie pour étreindre un tel sujet, pour féconder ces élémens et tracer un tableau à la fois risible et triste. M. Ponsard n’a par malheur ni la verve inventive et bouffonne d’un Aristophane, ni la profondeur comique d’un Molière, ni la gaieté vive et mordante d’un Regnard. L’auteur de Lucrèce est un esprit grave et honnête qui suit son chemin sans s’aventurer dans des inventions trop hardies. Son vers est un peu traînant et lourd, et même quand il rit, il semble encore composer une tragédie.

La nouvelle comédie de M. Ponsard, à vrai dire, est née de la même inspiration qui a produit l’Honneur et l’argent. Seulement l’Honneur et l’Argent avait cette supériorité qu’a souvent la première œuvre comique d’un esprit peu fécond par sa nature. Où sont les élémens d’intérêt de la Bourse ? Le sujet est d’une simplicité extrême. C’est un jeune homme qui, pour pouvoir se marier avec une jeune fille qu’il aime et de qui il est aimé, va tenter la fortune à la Bourse. Le principal inconvénient de tous les personnages de M. Ponsard, c’est qu’ils n’ont point de relief ; ils n’ont point un caractère réellement comique, ils manquent même souvent de vérité. C’est certainement une idée singulière, et qui n’a aucun rapport avec la comédie, de mettre dans la bouche d’un agent de change la description de tous les dangers de la Bourse. Pourquoi ces personnages divers créés par M. Ponsard ont-ils un rôle dans la comédie ? Ils n’ont visiblement d’autre mission que de venir successivement dire un mot sur le sujet même de la pièce. L’un se plaint au nom de la propriété que la Bourse absorbe les capitaux ; l’autre met en parallèle le travail fortifiant de l’ouvrier et les émotions malsaines du jeu. Chacun a sa moralité, qui pourrait se résumer en ceci : c’est que la Bourse est sans doute un lieu où se font des opérations utiles, mais qu’il ne faut pas en abuser. Sans être absolument neuve, la morale de M. Ponsard est certainement des plus saines, des plus honnêtes, et même elle prend parfois un accent presque éloquent ; mais dans une peinture de la vie humaine la mora-