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la vivacité de la discussion a été adoucie pour qu’il ne restât point de traces d’irritations passagères, ainsi que l’a dit lord Clarendon, il est facile d’apercevoir du moins tout ce qu’il y a eu de sérieux parfois dans ces débats intérieurs de la diplomatie. Le parlement britannique a abordé cette question de la paix, et en définitive la politique de l’Angleterre et de la France, les stipulations du 30 mars, vigoureusement soutenues par lord Palmerston et lord Clarendon, sont sorties intactes des controverses des partis, d’ailleurs peu hostiles. Le parlement sarde à son tour a eu ses discussions, où le président du conseil, M. de Cavour, a exposé la participation du Piémont aux conférences, principalement en ce qui concerne la question italienne. Évidemment c’était là le grand, l’unique but pour le cabinet de Turin. Le parlement de. Bruxelles lui-même enfin est intervenu au nom de la Belgique, dont le nom avait été prononcé à occasion des excès de la presse. Ainsi de toutes parts l’œuvre du congrès de Paris a été commentée, scrutée, interrogée dans son esprit et dans ses conséquences. Chacun y a vu naturellement ce qui était fait pour le toucher. Quel que soit l’avenir promis à cette œuvre, il est certain du moins que dès ce moment elle est l’expression visible d’une transformation ; graduelle dans la politique générale de l’Europe et dans la situation respective des diverses puissances mises en contact par les armes ou par les négociations.

Ce traité, qui vient d’être signé, peut être en effet envisagé sous plus d’un aspect. Il peut être observé dans ce qu’il dit explicitement et dans ce qu’il indique, dans son texte et dans son esprit. Considérée au point de vue de la question même qui a mis les armes dans les mains de l’Occident, la paix de Paris a pour premier mérite de constituer, si l’on peut ainsi parler, la défense de l’empire ottoman. Sans imposer aucun sacrifice d’honneur à la Russie, elle lui fait accepter en quelque sorte un désarmement d’ambition, elle suspend l’essor de cette politique conquérante qui depuis plus d’un siècle agite et menace l’Orient. Les moyens d’agression matérielle, elle les neutralise par un système de mesures préservatrices. Aux moyens d’influence religieuse et morale elle oppose une barrière de la même nature, des réformes bienfaisantes, une grande tentative de régénération intérieure en Turquie. Aux privilèges d’un protectorat exclusif et dominateur, elle substitue une protection collective exercée dans un esprit généreux et libéral. À côté des forces que conserve le tsar, elle place une force européenne. Sans s’aveugler sur la Turquie, l’Occident veut la faire vivre. Manquait-il encore une garantie à cet ensemble de stipulations soigneusement calculées ? Cette garantie dernière, qui assure toutes les autres, est inscrite dans le traité particulier que la France, l’Angleterre et l’Autriche ont signé le 15 avril 1856, traité en vertu duquel les trois puissances s’engagent solidairement à considérer comme un cas de guerre toute violation des arrangemens auxquels se lie aujourd’hui la paix générale. Ce n’est point un acte d’hostilité contre la Russie ; c’est une conséquence du traité du 2 décembre 1854, une manifestation de plus de l’alliance des trois états, survivant aux causes qui l’ont produite et restant comme la garantie des résultats acquis. La paix, on le voit donc, crée tout un ensemble de points défensifs autour de l’indépendance de l’empire ottoman, et, sous ce rapport, l’œuvre du congrès de Paris est le couronnement naturel de