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jusqu’à repousser une telle injure. Je parle de M. Victor Hugo avec la déférence qu’il mérite, mais en même temps avec la franchise qui est due aux forts. Que les faibles demandent l’indulgence comme un encouragement, à la bonne heure. Quant à ceux qui ont conquis depuis longtemps une légitime renommée, ils ne peuvent réclamer que la vérité, et doivent l’accepter tout entière. Si la flatterie donne à ma franchise le nom d’envie, je ne m’en inquiéterai pas. Si je prends la plume, c’est pour exprimer ma pensée, et non pour la déguiser. Que cette habitude passe aux yeux de bien des gens pour une singularité de mauvais goût, je le conçois ; qu’ils me permettent de n’y pas renoncer. J’aurais pu, après avoir lu les Contemplations, ne rien dire des pages que je désapprouve et louer celles que j’aime, laisser croire que j’admire tout sans restriction, sans exception, dans ce livre qui nous vient de l’exil : sans doute mon silence sur les pages qui me déplaisent aurait rallié de nombreux suffrages. Il m’a semblé qu’une telle conduite manquait de dignité, qu’il valait mieux dire toute ma pensée, que c’était la meilleure manière d’honorer le poète. Me suis-je trompé ?

La première fois que j’ai parlé de M. Victor Hugo, j’étais animé des mêmes sentimens qu’aujourd’hui. Je soumettais ses conceptions à l’épreuve de l’histoire et de la philosophie. Je marche dans la route que j’ai choisie, et je crois que cette route est la bonne. Les colères que j’ai soulevées ne changent pas les termes de la question. Il y a dans la recherche de la vérité, dans l’expression des sentimens qu’un livre éveille dans notre âme, un attrait que les reproches les plus injustes ne peuvent abolir.

Je ne demande pas au lecteur d’accepter mes jugemens comme la vérité même. Pourvu qu’il ne doute pas de ma sincérité, mes vœux ne vont pas au-delà. Il y aurait peut-être plus d’habileté à flatter les grandes renommées : je le crois volontiers ; mais je ne comprends pas la dignité sans la franchise, et c’est là tout le secret de ma conduite. Je n’ai pas grand mérite à faire ce que je fais. Ce qu’on nomme chez moi singularité, amour du scandale, n’est qu’un entraînement auquel je m’abandonne, et que j’ai de bonne heure renoncé à combattre. La franchise ne me coûte rien ; le mensonge, l’adulation me brûleraient la bouche. Sans les attaques auxquelles je suis en butte, je n’aurais jamais songé à entretenir le public de la position que j’ai prise dans la discussion littéraire, et j’espère qu’il ne verra pas dans ma défense une preuve d’orgueil. Je ne dois parler qu’avec modestie du travers qu’on me reproche, et que je n’élève pas au rang de vertu.


GUSTAVE PLANCHE.