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l’analyser. L’image radieuse de cette promenade dans les prés est de celles qui ne s’effacent pas. La nuit vient, les derniers rayons du soleil couchant dorent l’horizon. Le père ramène sa fille à la maison, il trouve ses enfans groupés sur le perron près de leur mère, et la journée s’achève dans l’orgueil et dans la joie. La fille aînée, que le poète pleure aujourd’hui, parle de ses frères et de ses sœurs avec un accent de protection qui ne s’invente pas, et qu’il faut avoir entendu pour tenter de le reproduire. Quand elle croit son père endormi, elle monte l’escalier à pas de loup, et si elle le trouve à demi éveillé, elle veut renvoyer les enfans qui font trop de bruit sous sa fenêtre et l’empêchent de se rendormir. Elle se donne avec eux des airs maternels. M. Victor Hugo, en feuilletant le livre de sa jeunesse, a retrouvé tous ses jours de bonheur ; il les a transcrits d’une main fidèle, et je crois pouvoir affirmer qu’il n’a rien ajouté à ses souvenirs. Si jamais scène fut dessinée d’après nature, c’est à coup sûr celle que je viens d’indiquer. Ici l’art disparaît et la tendresse parle seule, ou plutôt c’est l’art suprême, celui qui s’efface, que les yeux les plus clairvoyans ne réussissent pas à deviner, et qui témoigne, par sa discrétion même, toute l’étendue de sa puissance. Il y a dans l’affection paternelle bien des enfantillages ; mais lorsque la poésie s’empare de cette donnée et la traite simplement, elle ne peut manquer d’éveiller dans toutes les âmes des souvenirs joyeux ou de cruels regrets, et M. Victor Hugo, en retraçant l’enfance de sa fille aînée, a prouvé une fois de plus que la famille offre à l’imagination des thèmes aussi nombreux, aussi riches que la passion la plus ardente. La lecture de ces pages rajeunit l’intelligence et lui fait oublier toutes les questions d’école. En présence de l’émotion, tous les systèmes s’évanouissent. Quelques principes que l’on défende, on les oublie volontiers, quand on est attendri. Il y a dans le sourire d’un enfant tant de charme et de grâce, que le poète a gagné sa cause dès qu’il en trace l’image en vers fidèles et naïfs.

Les poignantes élégies inspirées à M. Victor Hugo par la mort de sa fille n’ont pas à mon sens la même valeur que les souvenirs dont je viens de parler ; mais avant d’aborder l’examen de ces élégies, je suis heureux de louer sans réserve une pièce qui appartient au même ordre d’idées, quoiqu’elle ne rappelle pas à la mémoire un deuil de famille. Le Revenant est un tableau touchant, que les femmes jugeront mieux que nous, et qui s’adresse aux sentimens les plus délicats. Pour raconter dignement cette douleur et cette consolation, il faudrait parler une langue faite de larmes et de caresses. Une mère a perdu son enfant, un enfant qu’elle avait nourri de son lait, beau, vermeil, radieux, le rêve de toutes ses nuits, la joie de toutes ses journées. Dieu lui a retiré le trésor qu’il lui avait donné. Sa raison s’égare, sa douleur s’exalte jusqu’à la folie. Jeune encore, elle