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étranger à ce genre d’émotion, c’est à coup sûr l’auteur de Britannicus et d’Athalie. Qu’il occupe dans notre littérature un rang moins élevé, moins glorieux que l’auteur du Misanthrope et des Femmes savantes, je le crois volontiers ; mais je ne comprends pas pourquoi les admirateurs de Molière le traiteraient d’effaré. C’est un caprice qui ne peut se justifier. Le disciple studieux de Lancelot, malgré sa tendresse pour la Champmeslé, n’a jamais connu les violentes émotions. Les succès de Pradon l’ont affligé sans doute, mais personne ne l’a jamais vu effaré ni dans la joie, ni dans la douleur. D’ailleurs c’est la seule nouveauté que nous ayons à signaler dans la Réponse à un acte d’accusation, complétée par Quelques mots à un autre. Ces deux pièces, écrites tantôt sur le ton de la satire, tantôt sur le ton de l’épître, ne montrent pas la pensée de l’auteur sous un aspect inattendu. Le poète, plein de foi en lui-même, parle en 1856 de ses œuvres accomplies comme il parlait en 1827 de ses œuvres futures. Il ouvre le drame à deux battans, et oublie sans rancune la résistance qu’il a rencontrée C’est une faculté précieuse que je n’ai pas l’intention de railler, et qui est peut-être nécessaire aux chefs d’école. S’ils doutaient de l’excellence de leurs principes, la force leur manquerait pour marcher au but qu’ils se proposent. L’auteur des Contemplations croit en lui-même comme au premier jour. La lutte n’a pas ébranlé ses convictions. Il demeure aujourd’hui ce qu’il était il y a vingt-neuf ans, avant d’avoir abordé le théâtre, avant d’avoir soumis au jugement du parterre l’application des théories exposées dans ses préfaces. Qu’on approuve ou qu’on blâme cette application, on ne peut s’empêcher d’admirer la persistance du poète. Si l’on pense qu’il n’a pas trouvé la vérité, il faut du moins reconnaître qu’il a mis au service d’une cause douteuse une force que des causes meilleures ne rencontrent pas toujours. Il y a dans sa volonté une permanence, une immutabilité qui auraient assuré le triomphe de ses théories, si elles pouvaient se concilier avec la nature humaine. Le spectacle de la force, même de la force égarée, a quelque chose d’imposant, et l’auteur des Contemplations est dans ce genre un curieux sujet d’étude.

Après l’apologie littéraire, l’apologie politique. C’est un sujet sérieux, qui voudrait des paroles sérieuses, et que par malheur le poète a traité d’un ton badin. Parfois sa raillerie se laisse aller à des expressions qui manquent de délicatesse, et même d’urbanité. Le marquis de C, qui l’a tenu sur ses genoux, s’étonne de sa conversion, et l’enfant parvenu à la virilité plaide la cause de la clairvoyance contre l’aveuglement, du savoir contre l’ignorance, du mouvement contre l’immobilité. Il a cent fois raison, je ne songe pas à le nier, mais je voudrais qu’il eût raison en parlant autrement. La