Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 3.djvu/40

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cependant je suis iman et chef d’un corps de troupes. Chez vous, il n’y a presque pas de sous-lieutenant qui n’en ait davantage. C’est pourquoi vos colonnes sont si longues, et, tu en conviendras toi-même, c’est un grand inconvénient.

« A quelque distance de là, Chamyl et son cortège furent arrêtés par plusieurs montagnards qui venaient évidemment de prendre part au combat. On entendait encore le bruit de la fusillade ; mais il se ralentissait. L’un de ces hommes remit à Chamyl un petit morceau de papier sur lequel le naïb Eski lui avait écrit quelques lignes. Après les avoir lues, Chamyl félicita les assistans et leur apprit que les Russes venaient d’être repoussés.

« — Remerciez de ma part Eski-Naïb, ajouta-t-il à haute voix en parlant aux montagnards, et remettez-lui ce bonnet en marque de ma satisfaction.

« Cependant Gramof, qui était à la queue du détachement, entendit bientôt des hommes qui revenaient du champ de bataille parler dans un tout autre sens. Un peu plus loin, Chamyl s’arrêta, et, se tournant vers l’interprète, il lui dit : — Allons, Isaï-Bek, rends-toi à Védeno ; moi, je vais rejoindre mon monde.

« — Permettez-moi de continuer à vous suivre.

« — Non ; tu n’y serais pas à ta place. Tu ne te battrais pas contre les tiens, et les nôtres ne se laisseront pas battre par vous ; je ne le permettrai pas. D’ailleurs, si tu venais à être blessé, je me le reprocherais. Rends-toi à Védeno, et attends-y mon retour.

« Cela dit, Chamyl tourna bride, et ses murides en firent autant. Quant à Gramof, il continua à marcher avec ses guides sur Védeno, dont il n’était plus qu’à vingt kilomètres au plus. »


À peu de distance de ce lieu, Gramof fut reçu avec honneur par les murides qui y étaient restés. La plupart des hommes qu’il rencontrait étaient âgés ; tous les jeunes gens avaient rejoint l’expédition. Cependant on lui fit l’accueil ordinaire dans le pays. Les coups de fusil et les djiguitovki (fantasias) ne manquèrent point. C’était l’intendant Khadjio qui présidait à ce cérémonial. L’interprète put examiner Védeno et les environs plus librement que les princesses, et les détails qu’il a fournis au narrateur russe sont assez curieux. L’aoul qui porte ce nom est, comme tous les villages tchetchens, disséminé sur une grande étendue, et toutes les maisons en sont de bois : la population s’y élève à quatre cents âmes environ. C’est au centre de l’aoul que se trouve la résidence de Chamyl : elle occupe un terrain considérable, entouré par une palissade et un fossé qui ferment la première cour ; des logemens y sont disposés pour les deux cents murides qui forment la garde de Chamyl. Plus loin est un petit hangar où Gramof vit huit canons en mauvais état. Il paraît qu’indépendamment de cette troupe d’élite, il se trouve encore à Védeno près de trois cent quarante étrangers, la plupart Polonais. Lorsque Chamyl se rend à la mosquée, les murides forment la haie depuis la porte de la cour jusqu’à celle du temple, et ils chantent