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de la fenêtre ouverte, je suivais tour à tour, dans leur capricieux amalgame, ces causeries à bâtons rompus, lorsque l’arrivée du cousin Harley vint y mettre un terme ; elle fut saluée par une acclamation joyeuse. Nous l’aimions tous beaucoup, le cousin Harley. Orphelin de bonne heure, il avait été élevé parmi nous, et mon père lui portait une affection telle que j’en ai rarement vu s’établir de pareille entre deux hommes d’un âge aussi différent. Le cousin revenait d’Edimbourg, où il était allé assister à la noce d’une parente, du côté paternel, qui avait épousé un cousin à elle. La tante Thomasine prit texte de là pour blâmer ces sortes de mariages, étrangers à nos mœurs anglaises. Mon père lui fit écho, déclarant que jamais il ne souffrirait, pour un de ses enfans, pareille union. Harley, qui jusqu’alors avait gaiement bavardé, se trouva tout à coup d’assez maussade humeur. Les questions des enfans semblèrent bientôt l’excéder ; il parla de sa fatigue, et, par l’ordre de mon père, je pris un flambeau pour lui faire traverser sans encombre un couloir obscur, menant à la chambre qui lui était réservée chez nous. Au pied de l’escalier, le cousin me retint une minute ou deux pour me dire qu’il avait l’idée de se fixer à Edimbourg et me demander mon avis là-dessus. Sa figure sérieuse, pendant qu’il me parlait ainsi, me donna bonne envie de rire ; mais comme je le vis plus pâle qu’à son ordinaire, je m’abstins de cette intempestive gaieté : — Nous verrons, lui, dis-je, quand je serai plus complètement informée. — Alors il me serra la main précipitamment, et monta sans ajouter une seule parole. De retour au salon, je répétai ce qu’avait dit le cousin Harley. Ma mère tout aussitôt leva les yeux sur moi.

— En vérité ! s’écria mon père ! Eh bien ! voilà du nouveau. Je parlerai demain au jeune homme. Je ne l’ai pas connu jusqu’à présent capricieux et fantasque. Comment l’a pris cette idée inattendue ?

Ici ma mère et lui échangèrent un regard : ma présence semblait les gêner. J’allai me joindre à la ronde des enfans que menait la tante Thomasine à l’autre bout du salon.

Quelques jours après, Harley quitta Burndale. Une suite de hasards (étaient-ce bien des hasards ?) fit que je ne le revis plus à partir du moment où nous avions échangé les paroles rapportées plus, haut. Je me trouvais à la promenade le jour où il vint prendre congé de nous. On me dit simplement qu’il était commis chez un de ses oncles, et placé la plus avantageusement qu’il aurait pu l’être à Burndale. Je hasardai bien quelques questions pour en savoir un peu plus long ; mais mon père et ma mère n’y répondaient guère, et j’en conclus que la conduite du cher cousin n’avait pas leur entière approbation. Aussi n’insistai-je plus. Pourtant Harley avait laissé des regrets. Mon père l’emmenait volontiers le soir dans le cabinet