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SIR ROBERT PEEL.

prouva de plus en plus que chef et soldats méritaient le pouvoir qu’ils savaient attendre et qu’ils ne recherchaient que si honnêtement.

Pour la seconde fois, les impatiens se crurent un moment au but de leurs vœux. Dans la session de 1839, la décadence du cabinet whig devint visible et rapide. Sur la législation des grains, sur l’état de l’Irlande, sur les embarras suscités à la Jamaïque par l’abolition de l’esclavage, les ministres n’obtinrent que des succès si près d’être des échecs, que le 7 mai, soit découragement, soit dessein de mettre l’opposition à l’épreuve, ils donnèrent leur démission. La reine fit appeler le duc de Wellington, qui, de même qu’en 1835, l’engagea à s’adresser à sir Robert Peel. Sir Robert se déclara prêt à former un cabinet et en indiqua sur-le-champ les principaux membres. La reine les agréa tous, se montrant décidée à soutenir loyalement ses nouveaux conseillers ; mais, avec la même franchise, elle témoigna qu’elle regrettait les anciens et croyait n’avoir eu qu’à se louer de leurs services. Les whigs avaient entouré son enfance ; depuis qu’elle était sur le trône, lord Melbourne, par l’aménité de son caractère, par l’impartiale liberté de son jugement, par les agrémens de son esprit, tranquillement moqueur et gai, et par des soins à la fois respectueux et presque paternels, lui avait inspiré une confiance et un goût voisins de l’affection. Peel et ses amis en conçurent quelque inquiétude, et pensèrent qu’en prenant le pouvoir ils avaient besoin de prouver qu’eux aussi ils possédaient l’entière confiance de la reine. Peel lui demanda à disposer des principales charges de sa maison. Ce ne fut pas, à ce qu’il paraît, de sir Robert, mais du duc de Wellington lui-même que vint la première idée de cette exigence. La jeune reine en fut choquée : c’était, lui dirent les whigs, une prétention exorbitante et que n’autorisaient point les précédens. On ajoutait que de grandes dames du parti conservateur en avaient parlé comme d’un triomphe sur la reine, disant qu’elles sauraient bien, quand elles formeraient sa cour, la contenir dans les limites constitutionnelles mieux que ne faisaient les whigs. L’impertinence est quelquefois une arme utile, mais plus souvent un dangereux plaisir. Le lendemain du jour où sir Robert avait formé sa demande, il reçut de la reine ce billet :

« La reine, ayant réfléchi sur la proposition que lui a faite hier sir Robert Peel d’éloigner les dames de sa chambre, ne peut consentir à un procédé qu’elle croit contraire à l’usage, et qui répugne à ses sentimens. »

Sir Robert répondit par une longue lettre respectueuse, sensée et constitutionnellement vraie, mais un peu lourde et sans élégance comme sans complaisance. Évidemment il convenait mieux au par-