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SIR ROBERT PEEL.

d’état dans tous les pays et dans tous les temps, et j’exprimerai ma pensée par des paroles bien plus belles que je ne saurais les trouver moi-même, par ces paroles de Cicéron : « Ce que j’ai appris, ce que j’ai vu, ce que j’ai lu dans les écrits célèbres, ce que m’ont enseigné les hommes les plus sages comme les plus illustres, et de cette république et des autres cités, c’est qu’il ne convient pas que les mêmes personnes soutiennent constamment les mêmes avis, mais bien les avis que commandent l’état des affaires, la disposition des temps et l’intérêt de la paix publique[1]. » Et quant au reproche de céder à la peur, « je ne connais, dit M. Peel, point de motif de conduite plus ignominieux que la peur ; mais il y a une disposition plus dangereuse encore peut-être, quoique moins basse, c’est la peur d’être soupçonné d’avoir peur. Quelque vil que soit un lâche, l’homme qui s’abandonne à la crainte d’être traité de lâche ne montre guère plus de courage. Les ministres de sa majesté ne sont point et n’ont point été effrayés de l’Association catholique ; ils auraient étouffé sans peine toutes ses tentatives d’intimidation… Mais il y a des craintes qui ne répugnent nullement au caractère de l’homme le plus ferme, constantis viri ; il y a des choses qu’il ne saurait voir sans les craindre. On ne doit pas voir sans crainte la désorganisation et la désaffection qui règnent en Irlande, et celui qui affecterait de ne les point craindre ne ferait preuve que d’insensibilité au bonheur ou au malheur du pays. »

L’issue du combat n’était pas douteuse : Peel ne l’avait engagé que sous l’empire de la nécessité et avec la certitude du succès ; mais ses adversaires, n’ayant rien à ménager, ne se refusèrent contre lui aucune des armes, aucun des cruels plaisirs de la guerre. En changeant de politique, il s’était loyalement démis de son siége dans la chambre des communes comme représentant de l’université d’Oxford, non sans quelque espoir secret de le reprendre par une nouvelle élection ; il succomba dans la lutte. On lui rappela plusieurs fois avec une dérision poignante son opposition contre M. Canning, ce glorieux rival à qui il venait maintenant ravir et sa politique et l’honneur du triomphe. Une caricature fut répandue avec profusion qui représentait Canning sortant de son tombeau et poursuivant Wellington et Peel de cette fière parole : « Je suis vengé ! » Un grossier ennemi alla jusqu’à donner à entendre que M. Peel n’avait changé d’opinion que pour conserver les avantages de sa place :

  1. « Hæc didici, hæc vidi, hæc scripta legi, hæc de sapientissimis et clarissimis viris, et in hâc republicâ et in aliis civitatibus monumenta nobis litteræ prodiderunt, non semper easdem sententias ab iisdem, sed quascumque reipublicæ status, temporum inclinatio, ratio concordiæ postularent, esse defendendas. » (Cicéron, Pro C. Plancio ; c. XXXIX.)