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MŒURS ET DEVOIRS
DE LA CRITIQUE


À quoi sert la critique ? Si l’on consulte les poètes, la réponse ne sera pas douteuse. Ils n’hésiteront pas un instant et diront d’une voix unanime : La critique ne sert à rien ; et pour peu qu’on les presse de révéler toute leur pensée, ils avoueront que dans leur conviction elle n’est pas seulement inutile, mais dangereuse. Ils acceptent la louange et ne veulent pas de la discussion ; ils ont inventé à l’adresse des écrivains qui dépensent leur intelligence dans ce coupable exercice une foule de railleries très ingénieuses qui n’ont pourtant découragé personne. La discussion se poursuit, et les poètes ne réussiront pas à la supprimer. Il faut absolument qu’ils en prennent leur parti. Qu’ils la tiennent pour inutile et dangereuse, je le conçois sans peine. Le public n’est pas de leur avis, et ce sera le public qui l’emportera. Cependant, je suis forcé de le reconnaître, pour un bon nombre de lecteurs indolens, la critique est à peu près dépourvue de profit ; ils adoptent sans délibérer l’opinion dont ils ont suivi les développemens, et ne se donnent pas la peine de la contrôler. La discussion la plus sérieuse n’aura jamais le privilège de transformer les esprits paresseux en esprits actifs. C’est une vérité depuis longtemps démontrée, et ce n’est pas à cette classe de lecteurs que la critique s’adresse. Elle veut que son opinion soit contrôlée, et pour que son vœu se réalise, il faut de toute nécessité que les lecteurs connaissent l’ouvrage sur lequel la discussion est instituée. Sans l’accomplissement de cette condition préliminaire, la critique la plus