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Ver erat sternum, placidique tepentibus auris
Mulcebant zephyri natos sine semine flores.


Ces deux vers sont d’Ovide. Sans doute l’homme enchanté respirait les parfums de ces fleurs et mangeait l’herbe qui les portait ! Tout nous ramène forcément, sinon à l’optimisme, du moins à cette vérité qu’il est bien difficile, non-seulement de faire mieux que ce monde que nous critiquons tant et si légèrement, mais encore de faire autrement. L’auteur si profond de Candide me fournirait lui-même au besoin bien des traits à l’appui de cette assertion. Il faut donc que l’homme songe à profiter des avantages du monde actuel sans rêver un ordre meilleur, qui probablement ne le serait pas du tout. Si je ne craignais pas de faire de la politique servile, chose impardonnable en France, où tout est bien, hors ce qu’on a, je dirais aux utopistes avec Laplace lui-même : Il y a quelque chose de pis que la constitution actuelle de la société, dont vous vous plaignez ; c’est de ne pas en avoir du tout !

La présente transition nous amène au seul exemple donné par Laplace de cette outrecuidance d’Alphonse, roi de Castille, astronome couronné, qui, lassé des épicycles compliqués de Ptolémée, affirmait que, s’il eût assisté au conseil de Dieu au moment de la création du monde, il lui eût donné de bons avis relativement à la simplicité qui lui paraissait devoir être un attribut indispensable d’une si belle œuvre. Le grand Newton lui-même n’a pas dédaigné de remarquer que la simplicité que ses lois introduisaient dans le système du monde pouvait satisfaire même le roi Alphonse. Or donc un jour, un seul jour, Laplace se mit à l’œuvre pour améliorer l’état de choses astronomique actuel. Admettant que la lune est faite pour diminuer l’obscurité de la nuit, il voulut avoir continuellement pleine lune. Il plaça donc notre satellite à l’opposite du soleil, et il lui donna un mouvement assez lent pour qu’il restât toujours ainsi. À la vérité, il fallut éloigner considérablement la lune et diminuer par la son éclat illuminateur. Enfin, vaille que vaille, Laplace obtint un petit clair de lune permanent et une petite lune toujours pleine. C’est un des curieux chapitres de la Mécanique céleste. Malheureusement l’état de cette lune hypothétique, sortie de la pensée d’un mathématicien, n’avait rien de stable. Un Italien, l’abbé Caraffa, éleva des doutes sur la permanence de l’état de pleine lune continuelle admis comme possible par Laplace. Notre confrère, M. Liouville, appliqua à ce problème ses puissantes facultés analytiques, et il reconnut, sans laisser aucune place au doute, l’impossibilité de l’hypothèse admise par Laplace. Après avoir été pendant plusieurs années à