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matériel de l’intelligence, et la science a marché à pas de géant.

Passons au calcul infinitésimal.

Dans la seconde moitié du XVIIe siècle, qui est le siècle de Louis XIV, au moment où Corneille, Racine, Shakspeare et Milton faisaient la gloire littéraire de la France et de l’Angleterre, Fermât en France, Leibnitz en Allemagne et Newton en Angleterre posaient les bases de ce puissant levier mathématique que l’on nomme l’analyse infinitésimale, et centuplaient les forces de la pensée en créant l’analyse mathématique des infiniment petits. Fermat y parvint par la géométrie, Leibnitz par les nombres arithmétiques, Newton par la mécanique. Si l’on considère que toute grandeur peut être admise comme formée d’élémens très petits, il est évident que si l’on peut avoir prise sur ces élémens constitutifs de toute grandeur, on maîtrisera les grandeurs elles-mêmes par les notions que l’on aura sur leurs principes élémentaires. Dans ces notions, on doit convenir que la clarté appartient avant tout aux conceptions de Leibnitz, et son expression de quantité différentielle, appliquée aux élémens infiniment petits qui constituent toute grandeur finie, est restée en possession exclusive de la science.

L’élément infiniment petit est tout à fait dans la nature. Ainsi la mer peut être considérée comme un amas de simples gouttes d’eau ; la terre, tout immense qu’elle est, peut être géométriquement divisée en petites parties, que, si l’on veut, on ne prendra pas plus grosses que des grains de sable. Mais à quoi bon ?

C’est ce que nous allons voir.

Je considère par exemple un monument bâti en brique, comme le sont à peu près tous ceux d’Angleterre, et je veux me figurer ce que peut avoir de matériaux pesans un si immense ensemble. N’est-il pas vrai que si je prends une brique à part et que je la pèse, il ne me restera plus qu’à compter combien un monument contient de briques pareilles pour en avoir le poids total ? Ici la brique est la différentielle comparativement infiniment petite de l’édifice entier. Il ne me restera plus qu’à trouver un moyen praticable et commode de compter le total des briques. Notez qu’ici toute difficulté relative à la forme de l’édifice disparaît, puisque c’est toujours, en définitive, d’un nombre suffisant de briques qu’on peut le supposer formé. L’art du calcul infinitésimal, c’est d’apprendre à compter les élémens infiniment petits dont le total se compose. Le résultat se nomme intégrale. C’est en effet ce que Leibnitz et Newton, et leurs successeurs, Clairaut, Euler, d’Alembert, Lagrange et Laplace, ont fait avec un rare bonheur, ou plutôt avec un rare génie. Mais ce n’est pas seulement dans la mesure des grandeurs que l’analyse infinitésimale a triomphé. Nous allons voir que ses procédés atteignent avec le même