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grec de cette mer. Je sais bien qu’on me dira qu’Aristote, ce grand seigneur naturaliste, se jeta la tête la première dans l’Euripe de l’île d’Eubée, de dépit de ne pouvoir pénétrer la cause de ses marées. Je regarde cette histoire comme aussi authentique qu’elle est vraisemblable. En attendant que Newton nous donnât le mot de l’énigme, Lucain fit de beaux vers sur les marées de l’Océan français, et il peignit à grands traits ces plages de nature indécise que la terre et la mer réclament, tour à tour. Cherchez la cause de ces alternatives si fréquentes, dit-il en finissant, ô vous que préoccupe le souci de la physique du monde ! L’attraction établie par Newton vint seize siècles plus tard en dévoiler la cause mystérieuse. Le poids des eaux diminué deux fois le jour par le passage de la lune et du soleil au-dessus et au-dessous de la terre fait gonfler la partie de l’Océan dont le poids est diminué. Or quelle est la loi de ces actions soulevantes ? C’est encore un cosinus. Cette conception métaphysique se substitue au dieu des mers de l’antiquité, et si les marées ne s’observent dans la Méditerranée que sur une minime échelle, c’est qu’en raison du peu d’étendue de cette mer, les forces soulevantes ne peuvent pas agir sur une extrémité sans faire à peu près le même effet sur le bord opposé, ce qui ne permet pas le déplacement en hauteur. C’est au reste ce que proclame d’abord le tout-puissant cosinus qui règle les actions solaires et lunaires, lesquelles tirent l’Océan de l’inertie inhérente à toute matière non soumise à des forces étrangères.

Nous allons retrouver tout à l’heure cette transcendante trigonométrique dans les perturbations du mouvement des planètes, que pendant longtemps on a pu croire capables de compromettre le système du monde, et de faire péricliter la nature entière sous les efforts du temps et des cosinus qui mesurent les perturbations.

Le cosinus n’est pas la seule des lignes évaluées en nombres que la trigonométrie emploie pour calculer l’immense masse des mouvemens célestes que l’on observe dans les grands observatoires. Il est des sinus, il est des tangentes, il est des sécantes et deux ou trois autres lignes qui, si je voulais les écouter, réclameraient leur part d’importance et l’honneur d’être signalées à l’attention du public non géomètre. Les tangentes notamment se vantent d’avoir été des premières utilisées par les constructeurs de cadrans arabes ou hindous. Les Grecs ont complètement ignoré cet admirable échafaudage des sinus, des cosinus, des tangentes, qui, substitué aux angles des triangles, a permis d’opérer sur des lignes droites au lieu d’opérer sur des arcs courbes, ce qui était horriblement compliqué. Lorsque ensuite les logarithmes sont venus simplifier la simplification arabe ou hindoue, tout est devenu expéditif et facile dans ce