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on me demandera quels sont ces êtres inconnus ? Vont-ils à deux ou à quatre pieds ? Cela vole-t-il, rampe-t-il ou nage-t-il dans la mer, ou dans l’eau douce ? sont-ce des êtres saisissables à nos sens, pesans, sonores, blancs ou noirs, chauds ou froids ? Si ce sont des êtres métaphysiques, que peuvent-ils faire dans le monde matériel, auquel ils sont étrangers ? La pensée ne transporte point les montagnes, et ce n’est point avec des formules mathématiques que la nature meut et conserve le monde. Nous allons voir tout à l’heure que si les conceptions mathématiques dont les noms précèdent ne produisent pas les actions dont l’univers nous montre les effets, elles sont au moins l’expression des lois suivant lesquelles se produisent les mouvemens du monde entier, et que, comme outils de l’intelligence, elles ont pénétré tout aussi profondément dans le domaine de l’univers que l’ont pu faire les outils du mineur dans les entrailles de la terre pour y aller chercher des trésors enfouis.

Je commence hardiment par la plus sauvage des fonctions transcendantes, le logarithme ! Si j’en emprunte la définition à l’algèbre, le logarithme d’un nombre est la puissance à laquelle il faut élever une base numérique fixe pour reproduire ce nombre. Mais d’abord qu’est-ce qu’une puissance, qu’est-ce qu’une base ? C’est tout un cours d’algèbre à faire ! Avis à ceux qui trouvent que je ne mets pas assez de formules mathématiques dans mes articles. La définition arithmétique ne serait guère plus maniable, il faudrait y parler de progressions par différence et par quotient. En un mot, cela demanderait une somme d’instruction préalable pour laquelle il faut avoir recours aux traités spéciaux.

Si une série de causes égales produisent des effets qui soient toujours dans la même proportion, la relation de l’effet à la cause est celle du nombre à son logarithme. Par exemple, dans le fameux problème du jeu d’échecs, où l’on demande un grain de blé pour la première case, deux grains pour la seconde, quatre grains pour la troisième, huit grains de blé pour la quatrième, et ainsi de suite, toujours en doublant, il est évident que la cause qui produit le doublement est le nombre successif des cases, et que l’effet produit est le double, le quadruple, le double du quadruple, et ainsi de suite, toujours en doublant. Le nombre des cases est le logarithme, le nombre des grains de blé est le nombre correspondant. À la soixante-quatrième case, on a doublé soixante-trois fois, et le nombre des grains de blé demandé pour cette soixante-quatrième case de l’échiquier serait le chiffre 3 suivi de soixante-deux zéros, comme le verra sans aucun calcul tout apprenti géomètre qui saura que le logarithme de deux est environ égal à trois dixièmes. Plus exactement