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rempli le monde de leurs merveilles. La navigation à vapeur, la télégraphie électrique, l’éclairage au gaz et celui qu’on obtient par la lumière éblouissante de l’électricité, les rayons solaires devenus des instrumens de dessin, d’impression, de gravure, cent autres miracles humains que j’oublie, ont frappé les peuples d’une immense et universelle admiration. Alors la foule irréfléchie, ignorante des causes, n’a plus vu des sciences que leurs résultats, et, comme le sauvage, elle aurait volontiers trouvé bon que l’on coupât l’arbre pour avoir le fruit. Allez donc lui parler d’études antérieures, des théories physiques, chimiques, qui, longtemps élaborées dans le silence du cabinet, ont donné naissance à ces prodiges ! Vantez-lui aussi les mathématiques, ces racines génératrices de toutes les sciences positives : elle ne s’arrêtera pas à vous écouter. À quoi bon des théoriciens ? Lagrange, Laplace, ont-ils créé des usines ou des industries ? Voilà ce qu’il faut ! »

Nous ne partageons pas tout à fait la manière de voir de l’éminent physicien, membre de l’Académie des Sciences et de l’Académie française, qui, suivant l’expression d’Horace, sait si bien penser et si bien exprimer sa pensée :

Sapere et fari quæ sentiat.

Il nous a toujours semblé que dès que les personnes étrangères aux études des mathématiques abstraites trouvaient jour à se renseigner sur ces lotions si peu à la portée du vulgaire, elles le faisaient avec une activité une satisfaction et des efforts de réflexion et d’intelligence qui dénotaient une curiosité supérieure à celle que peuvent inspirer les sciences ou les arts accessibles à toute personne qui a reçu une éducation libérale. On ne demandera guère à un membre de l’Académie des Sciences comment on peut arpenter un champ, niveler le canevas d’un chemin de fer ou d’un canal, mais on lui demandera comment on mesure, par exemple, la distance de la lune à la terre, et si l’on est bien sûr d’arriver à un résultat précis ! Il répondra que cette mesure s’obtient par la trigonométrie astronomique. Il dira que deux observateurs se placent vers les deux bouts de la terre, et que de la ils pointent les lunettes de leurs cercles divisés sur notre satellite. Alors ils obtiennent un triangle allongé dont la base est la ligne droite idéale qui joint les deux astronomes sur la terre, et dont les longs côtés sont les distances des deux stations au centre de la lune. L’observation donne la figure de ce triangle, et la trigonométrie calcule dans un tel triangle combien les longs côtés contiennent de fois la longueur de la base. On obtiendra donc ces longs côtés, c’est-à-dire la distance demandée, en prenant un certain nombre de fois la distance des deux observateurs.