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savoir des nouvelles, de sa famille, s’arrêtaient à l’entrée de la cour ; mais ils n’y trouvaient plus qu’un monceau de ruines fumantes et deux femmes, la princesse Tinia et la nourrice du prince, vieille femme décrépite. La première s’était réfugiée dans un cabinet obscur, et avait échappé aux recherches des montagnards. Quant à la nourrice, ils l’avaient sans doute dédaignée ; peut-être aussi avait-elle éveillé leur compassion. Assise au milieu de ces débris fumans, elle chantait d’un air égaré une de ces complaintes que les femmes du pays improvisent durant les enterremens, et elle y retraçait l’horrible scène qui venait de se passer sous ses yeux ; puis, s’interrompant : — David, s’écriait-elle, où es-tu ?… — Toutes les autres femmes de la maison, au nombre de vingt et une, et un petit domestique avaient été enlevés par les montagnards. »


Bien mieux que des scènes pareilles ne donne une idée de l’existence semée d’alertes et de luttes continuelles que mènent les Russes dans leurs possessions voisines du Caucase. Mais quelle est la vie des hordes implacables qui les soumettent à d’aussi rudes épreuves ? C’est ce qu’au prix d’une longue captivité les victimes du pillage de Tsinondale allaient apprendre.


II

Les montagnards, en quittant Tsinondale, se dirigèrent vers la tour de Pokhalski, devant laquelle s’étendait le camp de Chamyl. Ce trajet, qui dura trois jours environ, fut marqué par les incidens les plus, tragiques. Les montagnards avaient emmené, on l’a vu, de Tsinondale vingt et une femmes et un jeune garçon attachés au service du château. Les cinq enfans du prince David n’avaient pas trouvé grâce devant les ravisseurs, non plus que la princesse Varyara Orbéliani et la jeune princesse Nina Baratof, nièce de celle-ci. Tous ces captifs, isolés d’abord les uns des autres, ne purent se rapprocher et se reconnaître que plus tard pendant les courtes haltes qui interrompirent la marche, et l’ignorance où : la princesse Tchavtchavadzé fut pendant quelques instans sur le sort de sa sœur contribua encore à rendre plus poignantes pour elle les douleurs de ce départ au milieu de bandes ennemies vers un but inconnu. La princesse Tchavtchavadzé avait perdu une de ses pantoufles et s’était blessé le pied. Elle marchait péniblement, portant dans ses bras sa fille, la petite Lydie ; mais le muride qui la suivait voyait avec une parfaite indifférence les douloureux efforts de la pauvre captive, et allait jusqu’à la frapper de son plete, ou fouet de cuir, pour la forcer à marcher plus vite.

Deux rivières coupaient la route suivie par les montagnards, — le Kisiskève d’abord, puis l’Alazan. Dans la traversée du Kisiskève, la princesse perdit pied, et elle allait être entraînée par le courant,