Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 3.djvu/177

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

saient à la nation des sacrificateurs et des guerriers d’élite sortis d’une souche commune. Quand il y eut des temples, les sacrificateurs devinrent des prêtres voués exclusivement à l’exercice du culte, et le culte prit des développemens considérables à mesure que la mythologie inventait des dieux nouveaux. À mesure aussi que les populations s’accrurent, les tribus formèrent des peuples distincts, et les chefs de tribus s’appelèrent des rois. Les familles sacerdotales et les familles royales se dessinèrent donc nettement avec leurs attributions différentes et leurs privilèges héréditaires. Dans les premières se perpétuait la tradition védique, la science du passé ; elles conservaient les élémens et les principes de la civilisation indienne, dont le reste de la nation n’avait que l’instinct. Dans les secondes, ce qui dominait, c’était plutôt l’intérêt du présent et l’ambition de l’avenir ; la tradition ne pouvait avoir une bien grande importance aux yeux du guerrier qui sentait sa puissance s’affermir par la force des armes. Aussi, lorsque la noblesse militaire commença à manifester son pouvoir avec indépendance, lorsque la citadelle fortement assise sur la crête des rochers ne s’inclina plus devant le dôme des temples qui s’élevaient calmes et majestueux au sein des plaines, la noblesse sacerdotale s’efforça de réfréner l’orgueil des guerriers et d’établir son autorité au-dessus de celle des rois. Pour arriver à ses fins, elle donna à la tradition une forme nouvelle, et prenant comme point de départ la division des classes, qui tendaient naturellement à se séparer les unes des autres, elle proclama le régime des castes. L’allégorie qui représente les quatre castes sortant du corps de Brahma dut être la première expression de cette pensée, qui allait devenir la base d’un nouvel édifice social.

En se déclarant les aînés du genre humain, les gardiens et les interprètes infaillibles de la loi religieuse, les brahmanes avaient d’un seul coup abaissé les rois et relevé leur propre puissance. S’ils reconnaissaient en fait la grandeur et la majesté du pouvoir temporel incarné dans le souverain, s’ils exaltaient le respect dû à la royauté, ils lui refusaient leurs hommages, se réservant la faculté de contrôler ses actes et même de les annuler. Dieux eux-mêmes, qu’avaient-ils à redouter du guerrier fait roi et dépassant de toute la tête le reste des mortels ? Les rois à leur tour, satisfaits dans leur orgueil, admirent d’abord ce partage de la puissance, sans comprendre peut-être l’état d’infériorité auquel ils se condamnaient. Oubliant peu à peu le sens des allégories sous lesquelles le brahmanisme cachait ses instincts de domination et tenant peu de compte du traité que leurs pères avaient consenti à signer avec la classe sacerdotale constituée en caste, les descendans des anciens rois de