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la leçon aux rois ; la connaissance qu’ils ont de la sainte écriture les élève au-dessus de l’humanité ; ils sont les voyans[1] par excellence. À leurs pieds s’échelonnent les castes comprenant toute la population hindoue, divisée en trois grandes catégories. L’hérédité appliquée à toutes les professions ayant éternisé au profit de la race aryenne la distinction des classes fondée sur le souvenir de la conquête, il s’est trouvé que la science, les vertus guerrières, la richesse et la servilité sont devenues le lot d’autant de castes séparées à jamais les unes des autres. La connaissance de la langue dans laquelle ont été écrits les livrés que l’on regarde comme révélés, l’étude de ces mêmes textes et le droit de les expliquer et de les commenter, tel est le triple apanage du brahmane, et dans cet héritage qu’il a reçu de ses aïeux réside tout le secret de sa puissance. Pour empêcher les castes inférieures de s’élever jusqu’à lui, le brahmanisme a formulé cet axiome devenu un article de foi, que la science ne peut être accordée aux hommes qu’en raison de la place qu’ils occupent dans l’échelle sociale. Le code de lois attribué à Manou[2], qui a toujours fait autorité dans l’Inde, a tracé les devoirs des quatre castes dans ces stances célèbres : « Il (Brahma) donna en partage aux brahmanes l’étude et l’enseignement des védas, l’accomplissement du sacrifice, la direction des sacrifices offerts par d’autres, le droit de donner et celui de recevoir ; — il imposa pour devoirs au kchaltrya ou guerrier de protéger le peuple, d’exercer la charité, de lire les livres sacrés, et de ne pas s’abandonner aux plaisirs des sens. — Soigner les bestiaux, donner l’aumône, sacrifier et étudier les livres saints (sous la direction d’un brahmane), faire le commerce, prêter à intérêt, labourer la terre, sont les fonctions allouées au vaïçya, laboureur et marchand. — Mais le souverain Maître n’assigna au çoûdra, homme de la caste servile, qu’un seul office, celui de servir les classes précédentes sans leur porter envie[3]. »

Ces quatre stances offrent en abrégé un tableau complet de la nation hindoue, civilisée, autant qu’elle le sera jamais, quelques siècles après son établissement dans les régions que l’on a nommées depuis l’Inde centrale, et mille ans au moins avant notre ère. Le premier et le plus important des privilèges conférés au brahmane par le Créateur sera l’étude et l’enseignement des védas, et par ce seul

  1. En sanscrit vidvas.
  2. Les Hindous prétendent que ce code de lois a été révélé par Brahma, le dieu créateur, au premier des Manous, nommé aussi Svâyatribhouva, fils de celui qui existé par lui-même. Un saint des anciens temps, Bhrigou, passé pour l’avoir fait connaître aux hommes. Quelques savans admettent qu’il a pu être rédigé 1200 ans avant notre ère ; d’autres ne le font pas remonter au-delà du viiie siècle avant Jésus-Christ.
  3. Lois de Manou, liv. ier, stances 88-91.