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de la philosophie abstraite, elle semble avoir perdu jusqu’au souvenir de sa propre existence ; à qui l’interroge sur son histoire, elle répond par des récits fabuleux, par de merveilleuses légendes. Et pourtant l’Inde a vécu plus longtemps que tant d’autres nations qui paraissaient plus puissantes et plus fortement constituées. Le secret de sa durée et de sa force, il faut donc le chercher dans ses lois et dans son organisation sociale. Or, parmi les institutions qui lui sont propres, celle qui la caractérise le mieux, celle qui a le plus puissamment contribué à la maintenir stationnaire, mais toujours debout, c’est assurément le régime des castes.

Comment se sont formées les castes dans l’Inde ? à quelle époque a pris naissance cette division arbitraire en apparence, et si bien acceptée de la société hindoue, qu’elle n’a pas cessé de prévaloir depuis les temps anciens jusqu’à nos jours ? Ce double problème, impossible à résoudre d’une manière complète et satisfaisante, peut du moins être étudié dans son ensemble. Si les documens historiques font défaut, nous avons les ouvrages des législateurs avec leurs commentaires, les légendes semées à profusion dans les épopées et dans les pourânas. En rapprochant du texte de la loi brahmanique, nettement formulée, les faits qui se sont développés par la tradition et que la légende a consacrés, on arrive quelquefois à découvrir le sens caché de ces récits merveilleux et terribles rassemblés à dessein dans des poèmes immenses. La poésie devient alors comme le flambeau à l’aide duquel on cherche, à travers la poussière des siècles, les vestiges d’un passé dont la grandeur se révèle par des monumens de toute sorte, — les uns taillés dans la pierre et le marbre, debout encore ou mutilés, que, le voyageur interroge du regard avec émotion, — les autres tracés sur la feuille du palmier, avec la plume de bambou et sur lesquels s’est fixée pour toujours la pensée des anciens sages.

Ces sages des premiers temps étaient des brahmanes, c’est-à-dire des hommes appartenant à la classe éclairée des prêtres, chargée d’enseigner aux trois autres castes le texte des traditions religieuses dont elle gardait le dépôt. L’ensemble de ces traditions, — hymnes du Rig-Véda, rituel, croyances relatives à la création, à la nature de l’homme à ses destinées, — formait comme l’arche sainte de la nationalité aryenne[1]. À mesure cependant que les Aryens, établis sur le sol de l’Inde étendaient leurs conquêtes en domptant les peuples aborigènes, à mesure que ces peuples soumis et disciplinés apportaient dans le sein de la société hindoue des élémens étrangers,

  1. On sait que les ancêtres des Hindous s’appelaient eux-mêmes âryas, les hommes respectables.