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près inconnus dans le reste du pays ; On ne trouve la que des bêtes fauves inoffensives, surtout une grande quantité de gazelles. Quoiqu’on chasse ce gracieux animal comme tout autre gibier, il m’inspirait un tel intérêt, que, dans mes nombreux voyages à travers la régence de Tunis, j’ai toujours défendu aux gens de mon escorte de le tirer[1]. Il existe dans la régence de Tunis un autre ruminant avec lequel la gazelle a beaucoup d’analogie : c’est le cerf que l’on reprochait dans un temps à Virgile d’avoir placé en Afrique où on prétendait qu’on ne le trouvait pas. Il y existe fort bien, et l’auteur de l’Enéide a pu le mettre dans les environs de Carthage sans manquer à la vraisemblance, quoiqu’il soit infiniment moins répandu que la gazelle, et que l’on ne le voie guère que dans les tribus de l’ouest de la régence. Le Jardin des Plantes possède de ces cerfs africains. En masse, la zoologie de la régence de Tunis offre peu de particularités distinctes de celles que petit présenter l’Algérie. Néanmoins je crois qu’il y aurait d’utiles et spéciales études à y faire sur les oiseaux erratiques, de même que sur les apparitions de ces terribles sauterelles vagabondes qui ravagent trop souvent le nord de l’Afrique

Riche en produits végétaux et animaux de toute sorte le territoire tunisien possède, on le voit, des élémens de prospérité matérielle qui imposent au gouvernement de la régence une tâche dont il n’a pas toujours compris l’étendue. Aujourd’hui cependant ce gouvernement est confié aux mains sages d’un homme qui avait déjà mérité la sympathie de la régence lorsqu’il était bey du camp. Il est à désirer que ses idées d’amélioration soient mieux dirigées que celles de son prédécesseur, et qu’elles se portent plus vers les réformes productives que vers les réformes absorbantes. Sur ce terrain même, le nouveau bey aura un autre écueil à éviter, qui est le danger de préférer les manufactures à l’agriculture. Malheureusement c’est dans la voie de l’industrie manufacturière que les coureurs d’aventures orientales poussent de préférence les princes musulmans, et la raison n’en est pas malaisée à deviner. On ne saurait croire tout ce que ces malheureux princes ont gaspillé depuis près d’un demi-siècle pour avoir de mauvaises fabriques, de mauvais ouvriers et de mauvais produits, tandis qu’ils laissaient se tarir de plus en plus les mamelles de la terre. Il y a de quoi frémir en considérant

  1. Puisque je me trouve amené à la zoologie, je profiterai de l’occasion pour consigner ici quelques observations qui prouvent que le régime alimentaire des bêtes, au moins celui des ruminons, n’est pas aussi nécessairement uniforme qu’on le croit généralement. Ainsi j’ai eu chez moi une gazelle que l’on mettait quelquefois à table et qui mangeait indistinctement de tous les mets qui y étaient servis, gras ou maigres, chair ou légumes. Seulement il fallait éviter de lui laisser manger du persil, poison très actif pour ces animaux, qui d’ailleurs rongent tout, papiers et étoffes, ce qui diminue beaucoup le plaisir que l’on aurait de les laisser errer en liberté dans les appartemens.