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XVIe siècle par Sinan-Pacha, produisit, après un certain nombre de transformations, le petit état barbaresque connu des Européens sous la dénomination de Régence de Tunis. Une chose à remarquer surtout dans la série de ces transformations, c’est la manière dont les deys d’origine turque furent supplantés par les beys, de qui l’autorité avait quelque chose de plus local, de plus indigène, et par conséquent était plus sympathique aux populations arabes. Ce fut aussi avec l’appui des Arabes, qu’il commandait sous un pacha turc, que le chef de la dynastie des Caramanli assit d’une façon souveraine son pouvoir à Tripoli. Aussi ces deux états étaient-ils plus arabes que turcs, contrairement à ce qui se passait sur le territoire d’Alger, où l’autorité, quoique également indépendante de la Porte, ne sortait jamais des mains des membres d’une milice toute turque et formant une aristocratie militaire à l’instar des mamelucks d’Égypte. Tant que la lutte avait duré entre les deys et les beys de Tunis, les derniers avaient montré beaucoup de déférence à la Porte-Ottomane, dont les autres se montraient fort indépendans ; mais lorsque les beys eurent pris le dessus, il s’opéra dans les dispositions des uns et des autres un revirement qui fut la conséquence naturelle du changement de leurs positions réciproques, c’est-à-dire que les deys affectèrent à leur tour l’indépendance, et que les beys et la milice turque, dont ils continuaient à être les chefs, furent conduits à invoquer l’appui de Constantinople. Ces dispositions se combinant avec des rivalités de succession dans la famille des beys qui règne encore aujourd’hui, des guerres civiles cruelles affligèrent la régence de Tunis dans le dernier siècle, et donnèrent prétexte au dey d’Alger d’intervenir dans les affaires de ce pays, qu’il rendit même tributaire. Enfin Hamouda-Pacha, un des plus habiles princes qui aient régné à Tunis, secoua, il y a une quarantaine d’années, le joug des Algériens et en finit avec la milice turque, qui avait fait trop souvent cause commune avec eux. Cette troupe, exaspérée des amoindrissemens de privilèges que le bey lui imposait chaque jour, se révolta et s’empara de la citadelle ou casbah de Tunis, où ce prince les assiégea. Au bout de quelques jours, les révoltés, réduits aux abois et craignant une prise d’assaut, sortirent la nuit de la forteresse du côté de la campagne que le bey avait laissé libre à dessein, avec l’intention de gagner les états algériens ; mais ils furent en grande partie massacrés par la cavalerie arabe qui fut envoyée à leur poursuite[1]. Hamouda forma de ce qui en resta une milice nouvelle, réduite maintenant à bien peu de

  1. Le bey de Tunis employa utilement dans cette affaire, qui eut lieu en 1811, quelques artilleurs français faisant partie d’un convoi de prisonniers que les Anglais avaient Ternis a notre consul, et qui attendaient à Tunis une occasion pour être transportés en France. Ces prisonniers étaient rendus en vertu d’un cartel en échangé d’Anglais pris par nos corsaires. On sait que si à cette époque la marine de l’état n’a pas joué un rôle fort brillant en France, en revanche nos corsaires montrèrent beaucoup d’audace et de savoir-faire. Ils relâchaient souvent à la Go dette, où ils débarquaient leurs prisonniers, que notre consul remettait à celui d’Angleterre, lequel donnait en échange un égal nombre de Français tirés du dépôt que les Anglais avaient établi à Malte à cet effet :