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l’Océan vers le cap Bogador. Le fond soulevé de ce bassin forme maintenant le grand désert, et le pays situé entre ce désert et la Méditerranée, comprenant la plus grande partie de la régence de Tunis, l’Algérie et j’empire de Maroc, aurait été la fameuse Atlantide de Platon.

Le pays situé au sud de Tref-el-ma est une contrée assez agréable qu’on appelle l’Arad. Il est compris entre la mer et une chaîne de montagnes au-delà de laquelle est le désert, et qui se rattache aux montagnes de Tripoli. La principale des localités de ce district est Gabès. Ce nom ne désigne pas une ville, mais une réunion de bourgs ou villages, dont le plus considérable, appelé Djarah, est le chef-lieu de l’Arad. Tous ces villages sont entourés de vergers, de jardins ravissans, et la rivière qui les arrose a, par la beauté et le peu de longueur de son cours, beaucoup d’analogie avec le Loiret. L’Arad formait dans l’antiquité une province qu’on appela Emporia (les marchés), ce qui en indique l’importance commerciale et agricole ; aussi les Carthaginois ne tardèrent pas à l’occuper. Le sol de l’Arad est léger, très fertile et tellement près de l’eau, qu’il suffit presque partout de le creuser de quelques pieds pour en faire jaillir des sources abondantes. La sonde artésienne y ferait merveille et rendrait l’Arad un des plus riches cantons du monde.

À l’est de Gabès est l’île de Djerbah, un des plus beaux fleurons de la couronne tunisienne[1]. Elle compte quarante mille habitans, tous de la secte des khouamès, honnêtes et laborieux. C’est, relativement à son étendue, le pays le plus peuplé de la régence de, Tunis. Djerbah produit plusieurs espèces de fruits, y compris des dattes médiocres, de l’orge, peu de blé, mais beaucoup d’huile d’excellente qualité. On y fabrique de belles étoffes de laine et de soie ainsi que de la grosse poterie ; enfin on y pêche des éponges comme à Sfax et à Kerkennah. Cette île forma quelque temps, aux XIIIe et XIVe siècles, avec Kerkennah, une principauté appartenant à la famille du fameux Roger de Loria, qui en avait fait la conquête. En. 1560, les Espagnols, commandés par le duc de Médina-Celi, y éprouvèrent un grand désastre maritime. Une garnison de mille hommes, qu’ils avaient mise dans le château de l’île dont ils s’étaient emparés, s’y maintint après la perte de la flotte, et y arrêta pendant longtemps une armée de quarante mille Turcs. Lorsque ces braves gens eurent épuisé leurs vivres, ils firent une sortie furieuse sur le camp ennemi et périrent à peu près tous. On construisit avec leurs héroïques restes un ossuaire qui existe encore. Il avait été question dans un temps d’en demander la disparition au bey de Tunis ; mais il eût été regrettable

  1. C’est l’antique Lotophagitis.