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où se trahissait une vive inquiétude. La princesse annonçait à son mari que tous les habitans du village voisin du château avaient fui dans les bois. C’est sous l’impression de ces tristes nouvelles que le général dut marcher à la rencontre des cavaliers qu’on lui avait signalés. Quand il arriva sur les bords de l’Alazan, les montagnards avaient déjà franchi le fleuve et mettaient tout à feu et à sang. Le prince résolut de ne point se porter sur la rive envahie, et d’attendre le moment où ils se décideraient à la retraite pour frapper un coup décisif. Il se mit donc en embuscade, et quand au bout de quelques heures les Lesghes se replièrent sur leurs montagnes avec leur butin, ils trouvèrent les troupes russes prêtes à les recevoir. Les miliciens et les gens du prince firent tomber sous leurs balles plus d’un de ces pillards, dont les bandes isolées marchaient sans ordre. Le prince David était lui-même au milieu des combattans, et, pendant les momens de repos qui suivaient les scènes de carnage ramenées par l’apparition d’une bande de montagnards, les miliciens russes venaient jeter à ses pieds les têtes des ennemis qu’ils avaient tués, avec les dépouilles qu’ils avaient reconquises ; mais quelle ne fut pas l’émotion du prince, lorsque parmi ces dépouilles il en reconnut qui venaient de sa maison de campagne ! Tsinondale avait donc été pillé : le doute n’était plus possible. Le prince pouvait espérer toutefois que sa famille avait réussi à fuir avant l’arrivée des hordes de Chamyl : il demeura donc à son poste, attendant qu’une occasion s’offrît de venger avec éclat l’insulte faite par l’ennemi à ses foyers.

Cette occasion ne se fit pas attendre ; un avis qu’il reçut du commandant de la forteresse de Childa, attaquée de nouveau par les montagnards, le décida à marcher vers ce village, après avoir laissé un détachement de miliciens sous les ordres du capitaine Khitrof, des chasseurs de Mingrélie, au pied du mont Khontski, dans la direction duquel devaient se retirer les Lesghes. L’attaque dirigée contre les bandes qui s’étaient emparées de Childa eut un succès complet. Dispersés par l’irrésistible choc des Russes, les montagnards se replièrent en désordre, laissant quelques-uns des leurs dans une église, où la soif du pillage les avait conduits, et où un incendie allumé par les gens du prince en fit justice. De leur côté, les hommes du capitaine Khitrof, postés au pied du mont Khontski, firent bravement leur devoir en mitraillant un corps de montagnards qui conduisaient des captifs et emportaient un riche butin. Les montagnards laissèrent sur le terrain plusieurs morts, et on ne s’abstint de les poursuivre que pour ne pas exposer à de cruelles représailles les malheureux captifs qui étaient dans leurs rangs. Ces captifs, quels étaient-ils ? On ne le soupçonna que le lendemain, quand, par les ordres du prince, quelques-uns de ses serviteurs allèrent avec