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voir enfin le néant, car la plus protégée de nos industries, la navigation, est précisément celle qui fait le moins de progrès. Le guano, c’est pourtant de la fertilité immédiate, de la viande, du pain, tout ce qu’on demande à grands cris. Avec du guano, on gagne dix ans ; on peut transformer en quelque sorte à vue d’œil une terre ingrate en terre fertile, et obtenir d’emblée une grande production céréale, tout en préparant l’avenir par des récoltes fourragères, ce qu’on ne peut faire sans ce secours qu’avec beaucoup de temps et d’avances. Mais que voulez-vous ? le guano infecte les navires qui le transportent, nos armateurs y regardent à deux fois avant de s’en charger. La navigation anglaise et américaine est moins difficile, parce qu’elle a plus de bâtimens. Pourquoi s’entêter alors à ne vouloir de guano que sous pavillon français, quand il est bien démontré qu’on n’en peut avoir que fort peu et hors de prix ?

Il faut avoir essayé d’introduire en France des machines aratoires étrangères pour se faire une idée des ennuis qu’on se prépare. Autrefois le droit d’entrée était exorbitant, il doublait la valeur de la machine. Ce droit a été réduit par un décret récent, rendu à l’occasion de l’exposition universelle, mais les formalités n’ont pas été simplifiées ; elles dégoûtent les vendeurs eux-mêmes. Au mois de novembre dernier, un agriculteur français ayant écrit à la fabrique belge de Haine-Saint-Pierre pour demander un concasseur de tourteaux, le directeur lui répondit que « la douane française n’ayant pas de règle fixe et exigeant des dessins, des devis, des certificats d’origine pour des niaiseries, il avait pris la détermination de ne plus vendre en France aucune machine agricole. » Je ne vois pourtant pas en quoi l’introduction d’un concasseur de tourteaux peut menacer l’industrie nationale. Plus on fera venir de l’étranger de machinés aratoires, plus l’usage s’en répandra, et par conséquent plus nos propres fabricans seront excités à en faire. J’entends parler de beaux projets pour créer en France de grandes fabriques sur le modèle des établissemens anglais et belges : j’y applaudis fort pour mon compte ; mais en attendant laissez acheter en Angleterre et en Belgique, si l’on y travaille mieux et à meilleur marché qu’en France : vous verrez vous-même, par les essais qui seront ainsi faits, quels sont les instrumens qui réussissent le mieux chez nous, quels perfectionnemens ils réclament pour réussir davantage ; vous vous éviterez des écoles et des frais inutiles.

J’ai déjà dit que je ne voulais pas traiter ici le côté industriel de la question ; je me contenterai de dire en gros qu’il en est à mon sens de toutes nos industries comme de l’agriculture. Je ne crois pas plus à l’inondation des houilles, des fers, des draps, des cotonnades, des poteries, des produits étrangers de toute sorte, qu’à celle des blés, des bestiaux et des laines ; il n’en entrerait, j’en suis con-