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dans toutes ses parties de tout temps, on a cru qu’il y avait danger à confier au hasard de l’industrie privée la subsistance des populations. De là une foule de règlemens et de lois, respectables dans leur principe, mais qui avaient le défaut capital de produire exactement le contraire de ce qu’on en attendait. L’esprit humain n’arrive jamais du premier coup aux idées simples, il commence par des complications excessives et ne distingue la vérité qu’après avoir pris beaucoup de peine à poursuivre des chimères. Un des plus grands exemples de cette infirmité de notre nature se présente dans les législations sur les grains. Il a fallu des siècles pour comprendre que le meilleur moyen d’assurer l’approvisionnement était de se confier à l’activité intéressée des cultivateurs et des marchands. Même aujourd’hui, ce n’est une conviction raisonnée que pour un petit nombre d’esprits ; le public l’accepte sans réfléchir tant que les intempéries des saisons n’amènent pas des insuffisances de récolte : dès que les prix s’élèvent, on voit reparaître toutes les anciennes erreurs, que des expériences innombrables devraient avoir détruites, mais qui n’en survivent pas moins, parce qu’elles ont pour elles l’apparence et le premier mouvement.

Je ne ferai pas ici la triste histoire de l’ancienne législation française. Son principe était l’interdiction même du commerce des grains, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur ; on sait ce qui en résultait, des variations effroyables dans les prix et des famines périodiques qui emportaient des millions d’hommes. Cette désastreuse législation fut le principal objet des attaques de premiers économistes il y a environ un siècle ; il leur fallut vingt-cinq ans de prédications obstinées pour ébranler dans les meilleurs esprits des préjugés fortement enracinés, mais la masse de la nation résistait, et quand Turgot devenu ministre proclama la liberté du commercé des grains, il ne tarda pas à être renversé. La révolution venue, avec ses déclamations contre les accapareurs, la disette fut en permanence ; elle ne cessa que lorsque les douloureux enseignemens de l’expérience eurent appris à respecter le plus nécessaire des commerces. Aujourd’hui le principe de la libre circulation des grains à l’intérieur paraît définitivement acquis, mais il n’en est pas encore de même du commerce extérieur. On a employé, pour régler l’importation et l’exportation, un système fort ingénieux, emprunté aux Anglais et connu sous le nom d’échelle mobile. La France est partagée en quatre zones, depuis celle où le blé est ordinairement le plus cher jusqu’à celle où il est ordinairement le plus bas ; des marchés régulateurs sont choisis dans chacune ; les prix de ces marchés, publiés tous les mois, servent à faire connaître le prix moyen de la zone pendant le mois précédent, et, suivant que ce prix a monté ou baissé, les droits à l’importation et à l’exportation varient, de manière à faci-