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s’accorde avec la nature. Ce qu’il faut louer sans réserve dans l’Enfant à la Grappe après la simplicité de la donnée, c’est la vérité de la pantomime. Les yeux et la bouche expriment la gourmandise, et tout le corps tendu vers le fruit envié s’associe à l’expression du même sentiment. Les éloges nombreux et légitimes accordés à cette figure ont fait croire à quelques esprits peu clairvoyans que dans la statuaire le choix du sujet importe peu, et que tout dépend de l’exécution. C’est une erreur facile à réfuter, car dans cette admirable composition la simplicité de la donnée n’a pas moins de valeur que la précision de la forme. Qu’une telle donnée n’ait pas coûté de longues méditations, que l’auteur n’ait eu qu’à regarder son enfant essayant ses forces pour contenter sa gourmandise, je le crois volontiers. Le choix de cette donnée n’en est pas moins une preuve de goût, puisque cet épisode de la vie de famille se prête merveilleusement au développement de la forme. Il est vrai que, pour en tirer parti, pour lui donner de l’importance, il faut posséder une main très habile en même temps qu’un œil très attentif. Pour traiter un sujet complexe, l’habileté de la main n’est pas moins nécessaire; seulement l’œil est souvent moins sévère, parce que l’intelligence ne saisit pas aussi vite l’intention de l’auteur.

Le Philopœmen placé aux Tuileries est peut-être l’ouvrage où se révèle avec le plus d’évidence le savoir profond acquis par David pendant les premières années de son séjour à Paris. Ses études anatomiques, poursuivies avec persévérance sous la direction de Béclard, l’avaient préparé à la composition de cette figure. Si l’on pouvait, en regardant une statue, oublier un instant l’importance de la beauté dans les arts du dessin, on accorderait à ce Philopœmen des éloges sans réserve, car le torse et les membres du guerrier sont modelés avec une fermeté magistrale. Le visage exprime à la fois la souffrance et la résolution. A ne considérer que le côté scientifique de l’exécution, il semble difficile de trouver dans cette œuvre le sujet d’un reproche, ou même d’une objection; mais l’importance de la beauté ne peut s’effacer de notre souvenir, et nous sommes forcé de reconnaître que si le Philopœmen se recommande par une rare habileté, il ne satisfait pas aux conditions de l’harmonie linéaire. L’action choisie par l’auteur est fidèlement exprimée, le mouvement du héros qui arrache le 1er de sa blessure est pleinement justifié; cependant cette figure ne saurait être proposée pour modèle. Malgré tous les mérites que je viens de signaler, elle ne contente pas le regard des connaisseurs; elle est vraie sans être belle. Or je pense, malgré la nature de l’action choisie, qu’il ne fallait pas séparer la vérité de la beauté. Vainement viendrait-on me dire qu’un tel sujet ne se prête pas à f élégance, que l’auteur a bien fait de tout