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qui arrivent toujours au bon moment. Voilà pourquoi, en se reportant vers le passé, tout le monde ne considère pas du même œil la fronde et ses diverses époques, — et, ce qui est mieux, c’est que chacun a ses raisons de juger différemment, d’aimer ou de n’aimer point la fronde. Voilà pourquoi enfin M. de Broglie, avec l’accent austère d’un frondeur des premiers temps, déprime un peu celui qui finit par avoir raison de tout, Mazarin, que M. Nisard relève au contraire. M. le duc de Broglie, dans un sentiment élevé d’ailleurs, s’est montré quelque peu désabusé dans son discours. Il a répété le mot de l’empereur Sévère attendant la mort : J’ai été toutes choses, et rien ne vaut. Il a eu même quelques paroles sévères pour la génération contemporaine, pour « cette génération qui nous succède, étourdie de sa chute, engourdie dans le doute, enivrée des intérêts du jour et de l’heure. » Ces paroles de M. le duc de Broglie ne sont pas seulement l’expression de la pensée de celui qui les prononçait, elles expriment au fond la pensée d’une génération d’hommes qui ont le juste sentiment de leur importance, l’instinct de la grandeur du temps où ils ont vécu, et qui sont naturellement portés à envisager l’avenir d’un œil moins rassuré. Il est trop réel par malheur que la jeunesse actuelle peut être enivrée des intérêts du jour et de l’heure, qu’elle a pu être étourdie de sa chute ; mais enfin cette chute, elle ne l’a ni provoquée ni préparée : ce n’est point elle qui y a travaillé. N’est-il point vrai en outre que chaque génération qui vient est dans une certaine mesure l’œuvre de celle qui l’a précédée ? Elle ne s’est point faite elle-même moralement, elle a subi les influences qui régnaient, et cette différence d’esprit, de destinée entre des générations qui se succèdent serait à coup sûr un des plus curieux phénomènes à étudier dans notre vie contemporaine.

Ainsi la politique était partout présente à l’Académie sous le voile de l’histoire ou des considérations morales : elle n’a pas même gardé ce voile transparent ; M. Nisard l’en a dépouillée d’une main hardie. M. Nisard, dans son discours, a suivi pas à pas M. le duc de Broglie, relevant chacun de ses mérites, marquant chaque trait de son caractère, analysant ses œuvres littéraires. Il a parlé du dernier règne et du temps présent après avoir refait l’histoire de la fronde. La pensée tout entière du directeur de l’Académie se résume dans un mot qu’écrivait autrefois M. de Broglie : « Tout va bien ! » Le discours de M. Nisard contient assurément plus d’un passage remarquable ; on pourrait y distinguer une multitude de traits qui sont toujours sur le point d’atteindre le but. M. Nisard, comme on sait, nourrit un culte sévère du XVIIe siècle et de la langue magnifique de ce temps ; mais on est toujours de son siècle par quelque côté, et c’est pour cela sans doute que l’auteur de l’Histoire de la Littérature française s’est oublié plus d’une fois vraiment en laissant se glisser dans son discours des phrases qui auraient eu besoin d’être expliquées. Il y a eu des momens où M. Nisard ne disait pas même absolument ce qu’il voulait dire, traitant quelque peu la langue en ennemie. L’Académie n’en a pas moins eu ce jour-là une brillante fête, et le lendemain elle avait encore une œuvre d’un autre genre à faire : elle avait à nommer deux académiciens nouveaux. Ces élections étaient la grande préoccupation depuis quelque temps. L’Académie se laisserait-elle ébranler ? Il n’en a rien été. L’Académie a élu M. de Falloux et M. Biot. Il a fallu seulement trois tours de scrutin pour assurer la victoire de M. de Falloux. Au