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la Turquie, et à écarter pour l’avenir tout soupçon d’une pensée ambitieuse de conquête, — s’il parle ainsi, il ne dit que ce qu’il peut dire à des Russes pour les intéresser à une pacification honorablement offerte et honorablement acceptée. Il en est de même lorsque l’empereur Alexandre met en balance les concessions qu’il s’est vu contraint de faire et les conséquences bien autrement graves qui auraient pu découler de la continuation de la lutte, les désastres de la guerre et les avantages de la paix, qui laisse la Russie libre de perfectionner son organisation intérieure, d’introduire l’équité dans ses lois, de travailler utilement et de s’élever vers la civilisation. Le manifeste du tsar est, à proprement parler, le manifeste d’une politique nouvelle, à laquelle il ne manque désormais que de devenir une réalité complète, pour rattacher plus intimement l’empire russe au mouvement général des nations européennes. En apparence, c’est une retraite presque hautaine, soutenue en invoquant des victoires ; au fond, c’est une acceptation des conséquences de la guerre et des bienfaits d’une paix nouvelle. La pensée des principaux gouvernemens, on le voit, n’en est plus à se dessiner ; elle se manifeste dans leurs actes comme dans leurs paroles. Quant à la Prusse, elle a été incontestablement la première à se réjouir : elle s’est spontanément complimentée elle-même. Le traité était à peine signé, que le roi Frédéric-Guillaume envoyait un de ses ordres à son plénipotentiaire, M. de Manteuffel, et les chambres de Berlin s’empressaient de féliciter leur souverain de la puissante efficacité de sa politique. On conviendra que si le monde a retrouvé la paix, ce n’est point l’effort de la Prusse qui a fait défaut ! Voilà donc l’Europe rendue au repos après un ébranlement de plusieurs années, ou, pour mieux dire peut-être, voilà une querelle apaisée. Si les peuples ont bien d’autres difficultés à vaincre dans la rude vie de notre temps, ils ont pu du moins apprendre une fois de plus ce que vaut la modération en politique, et ce qu’il en coûte même pour avoir raison. La Russie, après bien des sacrifices, n’est point certainement arrivée là où elle voulait aller, tandis que la France et l’Angleterre savent de quel prix elles ont payé un résultat qu’elles ne recherchaient pas d’abord, qu’elles ont été contraintes de revendiquer plus tard comme un gage de sécurité européenne.

Oui, la paix est signée : que faut-il maintenant pour qu’elle dure ? Sans doute, ainsi que le disait récemment l’empereur dans un banquet où il a réuni les plénipotentiaires, il est nécessaire « qu’elle repose toujours sur le droit, sur la justice, sur les véritables et légitimes intérêts des peuples ; » mais en outre, dans le cas actuel, pour que cette terrible affaire d’Orient ne se réveille pas dans sa gravité, pour que les garanties obtenues par l’Europe conservent une durable efficacité, il faut que la paix s’identifie en quelque sorte avec la solution des difficultés diverses qui sont comme les dépendances nécessaires de la grande question. Ces difficultés sont sans doute encore l’objet des délibérations du congrès, qui n’a pu les résoudre qu’en principe dans le traité récemment conclu. Il y a deux questions surtout : celle de l’amélioration du sort des populations chrétiennes et celle de l’organisation nouvelle des principautés. Qu’on se représente exactement cette situation. La guerre a été entreprise pour faire cesser en Orient la prépotence excessive de la Russie, déguisée sous un protectorat religieux, et pour maintenir dans leur intégrité les droits souverains du sultan. Le sort des chrétiens était