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Il faut pourtant parler : ou le mari de Philaminte ne signifie rien, ou il signifie qu’un père de famille ne peut voir sans dépit sa femme oublier l’éducation de ses enfans pour traiter les questions du beau langage et suivre le cours des planètes. Qu’il soit sincère, que son accent ne démente pas sa parole, et les rieurs seront de son côté, je veux dire qu’ils prendront parti pour les sentimens qu’il exprime.

Clitandre, sous les traits de M. Bressant, n’est pas tout à fait ce qu’il devrait être. Quand il abandonne Armande pour se tourner du côté d’Henriette, il s’attache avec une singulière obstination à peindre la passion qu’il ne ressent plus. Si Armande prenait garde à la voix, à la pantomime de l’amant qui se dit affranchi de sa première affection, elle ne s’emporterait pas contre sa sœur. Si Henriette regardait d’un œil attentif sa nouvelle conquête, elle serait saisie d’une légitime défiance. Comment expliquer l’erreur de M. Bressant, que j’ai vu commettre par bien d’autres ? M. Bressant a prouvé maintes fois que son intelligence ne manque pas de finesse ; je me refuse à croire qu’il n’ait pas pénétré le sens du rôle de Clitandre. Il a cédé aux habitudes de sa profession, il a voulu produire de l’effet dans un passage sans importance, produire de l’effet à tout prix, et ne s’est pas aperçu qu’il altérait ainsi l’unité de son rôle. Bélise, sous les traits de Mme Thénard, n’est pas la joyeuse caricature imaginée par Molière, mais une figure qui, à force de prodiguer les éclats de rire, finit par attrister les spectateurs attentifs. Son hilarité a quelque chose de convulsif, et cependant cette fausse Bélise est applaudie avec entraînement, avec rage. À peine quelques oreilles habituées à la mesure de l’alexandrin s’aperçoivent-elles que Mme Thénard, pour égayer son rôle, ajoute aux vers qu’elle récite des interjections dont la mesure ne saurait s’accommoder. On dit que la tradition le veut ainsi. Je veux bien croire que c’est l’opinion adoptée dans l’école de la rue Bergère et au théâtre de la rue Richelieu : ceux qui l’affirment sont sans doute bien informés ; mais en lisant Molière, je ne réussis pas à comprendre le personnage de Bélise comme le comprend Mme Thénard. Est-ce de ma part défaut de clairvoyance ? Je me résignerais à le penser, si je n’avais vu mon étonnement et mon dépit partagés par des hommes éclairés dont le savoir me rassure. Enfin, et c’est là le dernier reproche que j’adresse aux comédiens du Théâtre-Français à propos des Femmes savantes, Trissotin et Vadius ne sont pas rendus assez simplement. MM. Samson et Régnier, à l’exemple du mari de Philaminte, se trouvent tellement ridicules, que, pour désarmer la sévérité du parterre, ils jouent la scène du sonnet sur la fièvre qui tient la princesse Uranie comme une parade, et non comme une scène de comédie. Cependant, s’ils prenaient la peine de réfléchir, ils sentiraient qu’ils font fausse route. Que Trissotin et Vadius com-