en savent moins sur le vrai sens de ses ouvrages qu’un homme attentif après une première lecture. On va crier au paradoxe, on va m’accuser d’exagération. Au premier aspect, je n’en disconviens pas, ce que j’avance peut paraître singulier ; mais pourtant, si j’arrive à le prouver, si je démontre que dans l’École des Femmes, dans le Misanthrope, dans Tartufe, dans les Femmes savantes, plus d’un rôle est complétement dénaturé, que répondront mes contradicteurs ? Si j’établis que ces méprises font partie d’un corps de doctrines, qu’il faut les accepter pour entrer dans la maison, pour devenir pensionnaire, est-ce de mon côté que se trouvera le paradoxe ? L’origine de ces méprises est presque toujours la même : les comédiens, trop souvent, veulent avoir plus d’esprit que l’auteur. Quand il s’agit de Molière, on m’accordera bien que cette prétention est une imprudence. Il serait plus sage de s’en tenir au sens naturel des paroles écrites, sans essayer de les commenter, de les compléter par le ton, par le geste, par le regard. Un tel conseil n’est pas du goût des comédiens. Quand ils n’ajoutent pas aux vers qu’ils récitent quelques syllabes inattendues, ils prêtent à l’auteur des intentions qu’il aurait peine à comprendre, qu’il désavouerait avec dépit.
Les comédiens ne comprennent pas l’École des Femmes. Rien n’est plus facile à établir. Je ne dis pas, Dieu m’en garde ! que tous les rôles de cette comédie sont joués à contre-sens ; mais le rôle principal, le rôle d’Arnolphe, celui qui résume la signification philosophique de la composition, est dénaturé à la représentation. Molière avait quarante ans quand il écrivit l’École des Femmes, et chacun sait qu’il venait d’épouser Armande Béjart, presque aussi jeune qu’Agnès. Je n’ai pas à rappeler les mésaventures conjugales du poète : elles sont connues de tous ceux qui s’intéressent à l’histoire des lettres. Molière a prouvé une fois de plus que pour une fille de seize ans le génie ne remplace pas la jeunesse. Je ne crois pas que dans le personnage d’Agnès il ait voulu peindre Armande Béjart ; le bon sens le plus vulgaire n’accepterait pas une telle conjecture : mais tous les contemporains s’accordent à voir dans Arnolphe l’image des douleurs éprouvées par l’auteur lui-même, et certes, pour ceux qui connaissent la biographie de Molière, ce rapprochement est tout naturel. Vouloir trouver dans le personnage d’Horace le portrait du comte de Guiche serait assurément chose téméraire. D’ailleurs, lors même que cette comparaison pourrait se justifier, elle ne modifierait pas le sens général de la comédie. La seule question importante est de savoir si Arnolphe est un personnage sérieux ou un personnage uniquement destiné à égayer le parterre. Les comédiens qui représentent ce personnage se rangent au dernier avis. Je crois qu’ils se trompent. Ai-je tort de le croire ? Ou le témoignage des contempo-